Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome premier, 1796.djvu/23

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il faut reſſembier aux autres malgré ſoi, vivre & preſque penſer comme eux. Quelle comédie !

Le philoſophe a pour objet ce qui lui paroit vrai, ou faux, abſtraction faite de toutes conſéquences : le légiſlateur, peu inquiet de la vérité, craignant même peut-être (faute de philoſophie, comme on le verra) qu’elle ne tranſpire, ne s’occupe que du juſte et de l’injuſte, du bien & du mal moral. D’un côté, tout ce qui paroit être dans la nature, eſt appelé vrai ; & on donne le nom de faux à tout ce qui n’eſt point, à tout ce qui eſt contredit par l’obſervation & par l’expérience : de l’autre, tout ce qui favoriſe la ſociété, eſt décoré du nom de juſte, d’équitable, &c. tout ce qui bleſſe ſes intérêts, eſt flétri du nom d’injuſte ; en un mot, la morale conduit à l’équité, à la juſtice, &c. & la philoſophie, tant leurs objets ſont divers, à la vérité.

La morale de la nature, ou de la philoſophie, eſt donc auſſi différente de celle de la religion & de la politique, mère de l’une & de l’autre, que la nature l’eſt de l’art. Diamétralement oppoſées, juſqu’à ſe tourner le dos, qu’en faut-il conclure, ſinon que la philoſophie eſt abſolument inconciliable avec la morale, la religion & la politique, rivales triomphantes dans la ſociété, honteuſement humiliées dans la ſolitude du cabinet & au flambeau de la raiſon : humiliées ſur-tout