Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome premier, 1796.djvu/24

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par les vains efforts même que tant d’habiles gens ont faits pour les accorder enſemble.

La nature auroit-elle tort d’être ainſi faite, & la raiſon de parler ſon langage, d’appuyer ſes penchants & de favoriſer tous ſes goûts ? La ſociété d’un autre côté auroit-elle tort à ſon tour de ne pas ſe mouler ſur la nature ? Il eſt ridicule de demander l’un, & tout-à-fait extravagant de propoſer l’autre.

Mauvais moule ſans-doute pour former une ſociété, que celui d’une raiſon, ſi peu à la portée de la plupart des hommes, que ceux qui l’ont le plus cultivée, peuvent ſeuls en ſentir l’importance & le prix ! Mais auſſi, plus mauvais moule encore pour former un philoſophe, celui des préjugés & des erreurs qui font la baſe fondamentale de la ſociété.

Cette réflexion n’a point échappé à la prudence des légiſlateurs éclairés ; ils ont trop bien connu les animaux qu’ils avoient à gouverner.

On fait aiſément croire aux hommes ce qu’ils déſirent ; on leur perſuade ſans peine ce qui flatte leur amour propre ; & ils étoient d’autant plus faciles à ſéduire, que leur ſupériorité ſur les autres animaux les avoit déjà aidés à ſe laiſſer éblouir. Ils ont cru qu’un peu de boue organiſée pouvoit être immortel.

La nature déſavoue cependant cette doctrine