Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome premier, 1796.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

potence, y ont mis bon ordre. On ne ſe prive de la vie, que par un ſentiment de malheur, d’ennui, de crainte, ou de certitude d’être encore plus mal qu’on n’eſt, ſentiment noir, production atrabilaire, dans laquelle les philoſophes & leurs livres n’entrent pour rien. Telle eſt la ſource du ſuicide, & non tout ſyſteme ſolidement raiſonné, à moins qu’on ne veuille y ajouter cet enthouſiaſme, qui faiſoit chercher la mort aux lecteurs d’Hégéſias.

C’eſt ainſi que, quoiqu’il ſoit permis, ſuivant : la loi de la nature & Puffendorf, de prendre par force un peu de ce qu’un autre a de trop, dans la plus preſſante extrémité, on n’oſe cependant ſe faire juſtice à ſoi-même par une violence ſi légitime & ſi indiſpenſable en apparence, parce que les loix la puniſſent, trop ſourdes, hélas ! aux cris de la nature aux abois. Tant il eſt vrai, pour le dire en paſſant, que, ſi les loix ont en général raiſon d’être ſeveres, elles trouvent quelquefois de juſtes motifs d’indulgence ; car, puiſque le particulier renonce ſans ceſſe à lui-même en quelque ſorte, pour ne point toucher aux droits du public ; les loix qui les protègent, ceux qui ont l’autorité en main, devroient à leur tour, ce me ſemble, rabattre de leur rigoureuſe ſevérité, faire grâce avec humanité à des malheureux qui leur reſſemblent, ſe prêter à des beſoins mutuels, & enfin ne point