Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome premier, 1796.djvu/35

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la multitude, que tous nos écrits : raiſonnemens frivoles, pour qui n’eſt point préparé à en recevoir le germe ; pour ceux qui le ſont, nos hypotheſes ſont également ſans danger. La juſteſſe & la pénétration de leur génie a mis leur cœur en ſureté, devant ces hardieſſes, &, ſi j’oſe le dire, ces nudités d’eſprit.

Mais quoi, les hommes vulgaires ne pourroient-ils etre enfin ſéduits par quelques lueurs philoſophiques, faciles à entrevoir dans ce torrent de lumières, que la philoſophie ſemble aujourd’hui verſer à pleines mains ? Et comme on prend beaucoup de ceux avec leſquels on vit, ne peut-on pas adopter facilement les opinions hardies dont les livres philoſophiques ſont remplis, moins à la vérité (quoiqu’on penſe ordinairement le contraire) aujourd’hui qu’autrefois.

Les vérités philoſophiques ne ſont que des ſyſtêmes, dont l’auteur, qui a le plus d’art, d’eſprit & de lumieres, eſt le plus ſéduiſant ; ſyſtêmes où chacun peut prendre ſon parti, parce que le pour n’eſt pas plus démontré que le contre pour la plupart des lecteurs ; parce qu’il n’y a d’un côté & de l’autre, que quelques degrés de probabilité de plus & de moins, qui determinent & forcent notre aſſentiment, & même que les ſeuls bons eſprits (eſprits plus rares que ceux qu’on appele beaux), peuvent ſentir, ou ſaiſir combien de diſ-