Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/163

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qu’il eſt poſſible. Deſcartes ſe félicite, dans ſes lettres, de n’avoir pas la nuit des idées plus fâcheuſes que le jour.

Vous voyez que l’illuſion même, ſoit qu’elle ſoit produite par les médicamens, ou par des rêves, eſt la cauſe réelle de notre bonheur ou malheur machinal : enſorte que, ſi j’avois à choiſir d’être malheureux la nuit & heureux le jour, le choix m’embarraſſeroit ; car que m’importe en quel état ſoit mon corps, lorſque je ſuis mécontent, inquiet, chagrin, déſolé. Si dans l’incube, il n’y a point de fardeau ſur ma poitrine, mon ame a-t-elle moins le cochemar ? & quoique ces objets charmans, qui me procurent un rêve délicieux, ne ſoient point avec moi, je n’en ſuis pas moins avec eux, je n’en reſſens pas moins les mêmes plaiſirs que s’ils étoient préſens. On a les mêmes avantages dans le délire & la folie, qui en eſt un. Souvent c’eſt rendre un mauvais ſervice, que de guérir ces maladies ; c’eſt troubler un ſonge agréable, & préſenter la triſte perſpective de la pauvreté à un homme qui ne voyoit que richeſſes & vaiſſeaux à lui appartenans. Saine ou malade, éveillée ou endormie, l’imagination peut donc rendre content.

Le ſentiment qui nous affecte agréablement ou déſagréablement, n’a donc pas beſoin de l’action des ſens externes pour faire le plaiſir on le déſagrément de la vie. Il ſuffit que les ſens internes,