Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/165

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Sans l’attention qui lie les idées ſemblables, ou celles qui ont coutume d’aller enſemble, elles marchent pêle-mêle, & galoppent ſi vîte & ſi légerement qu’on ne les ſent pas plus qu’on ne les diſtingue : c’eſt encore comme en certains rêves accompagnés de trop de ſommeil, on n’en retient rien.

Tel eſt l’empire des ſenſations. Elles ne peuvent jamais nous tromper, elles ne ſont jamais fauſſes par rapport à nous, dans le ſein même de l’illuſion, puiſqu’elles nous repréſentent & nous font ſentir nous-mêmes à nous-mêmes, tels que nous ſommes actu, ou au moment même que nous les éprouvons : triſtes ou gais, contens ou mécontens, ſelon qu’elles affectent tout notre être entant que ſenſitif, ou plutôt le conſtituent lui-même.

D’où il s’enſuit 1°. que, ſoit que la vie ſoit un ſonge ou qu’il y ait quelque réalité, il en réſulte le même effet, par rapport au bien & au mal-être. 2°. Contre Deſcartes, qu’une déſavantageuſe réalité ne vaut pas une de ces illuſions charmantes, dont parle Fontenelle dans ſes églogues, qui ſervent à réparer le défaut des vrais biens que la nature avare n’a pas accordés aux humains.

Si la nature nous trompe à notre profit, qu’elle nous trompe toujours. Servons-nous de la raiſon même pour nous égarer, ſi nous pouvons en être plus heureux. Qui a trouvé le bonheur, a tout trouvé.