Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/187

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neur-là. Semblable à un bon bourgeois, qui préfère l’ancienneté de ſa roture à une nouvelle nobleſſe, qui ne coûte que de l’argent, une ame bien organiſée, contente de ce qu’elle eſt, & ne pouſſant pas ſes vues plus loin, dédaigne tout ce qu’on lui accorde au-deſſus de ce qui lui appartient en propre, & ſe réduit au ſentiment. L’art de le manier, c’eſt le manege de l’éducation qui le donne. Les belles connoiſſances dont l’orgueil gratifie ſi libéralement notre ame, lui font plus de tort qu’elles ne lui donnent de mérite, en la privant de celui que leur acquiſition ſuppoſe : car dans l’hypotheſe de la loi prétendue naturelle & des idées innées, l’ame apportant avec elle le diſcernement de mille choſes, comme du bien & du mal, reſſembleroit à ceux qui, favoriſés par le haſard de la naiſſance, n’auroient point mérité leur nobleſſe.

Pour expliquer tant de lumieres qu’on a cru infuſes, la nature ne paroiſſant pas ſuffire par elle-même à ceux qui la connoiſent mal, ils ont imaginé pluſieurs ſubfſtances, & cherché, ce qui eſt abſurde, l’intelligence de la raiſon dans de vrais êtres de raiſon, comme le prouve l’auteur de l’hiſtoire de l’ame. Mais ſi les uns ont gratuitement fabriqué les idées innées, pour donner aux mots de vertu & de vice une eſpece d’aſſiette qui en impoſât & les fît prendre pour des choſes réelles, les autres ne ſont pas plus fondés à donner des remords