Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/191

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ſe faiſant une route plutôt qu’une autre, les eſprits qu’il a filtrés dans la moëlle de mon cerveau, pour être de là renvoyés dans tous les nerfs, me font tourner dans un parc, à droite plutôt qu’à gauche. Je crois cependant avoir choiſi ; je m’applaudis de ma liberté. Toutes, nos actions les plus libres reſſemblent à celle-là. Une détermination abſolument néceſſaire nous entraîne, & nous ne voulons point être eſclaves. Que nous ſommes fous ! & fous d’autant plus malheureux, que nous nous reprochons ſans ceſſe de n’avoir pas fait ce qu’il n’étoit pas en notre pouvoir de faire !

Mais puiſque nous ſommes machinalement portés à notre bien propre, & que nous naiſſons avec cette pente & cette invincible diſpoſition, il s’enſuit que chaque individu, en ſe préférant à tout autre, comme font tant d’inutiles qui rampent ſur la ſurface de la terre, ne fait en cela que ſuivre l’ordre de la nature, dans lequel il faudroit être bifſarre & bien déraiſonnable pour ne pas croire qu’il pût être heureux. Si ceux qui font le mal peuvent l’être, comme on n’en peut douter ; ſi non-ſeulement ils ſont ſans remords, mais s’ils ne craignent point d’expier par les ſupplices la punition de leurs crimes ; à plus forte raiſon ceux qui ſe contentent de ne pas faire le bien, ne ſe croyant point obligés de tenir une parole que d’autres ont donnée pour eux, pourront-ils avoir le bonheur, qui peut dépendre