Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/198

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Et un moment auparavant, on ne pouvoit être malheureux dans l’indigence avec de la vertu ! Je t’entends ; c’eſt que cette vertu conſiſte apparemment plus à ſecouer le joug, lorſqu’il eſt très-difficile à porter, qu’à le porter, lors même que cela ne coûte pas beaucoup de peine.

Faire parade d’un courage qui enfle nos ames, & s’arrête ainſî dans le plus beau chemin ! dire que la pauvreté & la maladie ne ſont point des maux, & vouloir qu’on ſe tue pour s’en délivrer ! ce n’eſt pas la ſeule contradiction digne d’un bel eſprit. Notre païen ne prétend-il pas encore que la principale affaire d’un philoſophe, eſt d’apprendre tous les jours à mourir. Or c’eſt aller ſur les briſées du chriſtianiſme, Lorſqu’on ne craint & ne croit pas même les ſuites de la mort, ſi on ne meurt pas toujours trop tôt, (car je ne vois pas qu’on ait rien de mieux a faire que de vivre) du moins ne doit-on pas plus deſirer, que craindre le ciſeau d’Atropos. Il faut lui laiſſer couper le fil, quand elle voudra, & ne point s’en mettre en peine ; ſoit que cela ſe faſſe machinalement, ou par raiſon, ou qu’on ſoit tellement emporté par le tourbillon des plaiſirs, qu’on n’ait pas le temps d’y ſonger, il n’importe, pourvu qu’on n f ait aucune inquiétude. J’aime autant n’avoir jamais l’idée de la mort, ſi elle m’importune, ou m’effraie, comme elle effrayoit Cicéron, que l’honneur d’être en préſence & de la