Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/199

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braver. La faulx eſt levée pour tous les hommes, je m’y ſoumets ; c’eſt au vulgaire à trembler ; il eſt auſſi ridicule à qui n’admet qu’une vie (qu’il trouve belle & bonne, s’il n’eſt pas hypocondriaque) de ſe préparer à recevoir le coup qu’il ne craint point, que de l’accélérer, lorſque la vie non-ſeulement eſt ſupportable, mais pleine d’agrémens.

Quelle folie de préférer la mort au plus délicieux train de vie ! de croire, que qui ne peut mener une vie ſolitaire & philosophique, ne puiſſe être heureux, & doive en conſéquence quitter la vie plutôt que de porter des chaînes de fleurs ! De bonne foi, Séneque a-t-il pu ſérieuſement conſeiller la mort à un ami auſſi puiſſant, auſſi élevé en dignités, auſſi riche & entouré de plaiſirs que Lucilius, à qui ſes lettres ſont adreſſées, ſous prétexte que tant d’honneurs & de voluptés ſont un trop petit fardeau ? Mais Montagne lui-même, qui a été ſi vivement frappé de ce goût ſurprenant pour la mort, n’eſt pas pardonnable, ce me ſemble, d’avoir cru, comme les Stoïciens, que la mort devoit faire la principale étude d’un philoſophe. C’eſt peut-être accuſer ſa peur, & comme dit cet auteur même ; ſa couardiſe, que d’employer ſans-ceſſe tous les moyens de s’apprivoiſer avec la mort ; c’eſt afin de n’être pas ſi déconcerté quand elle paroîtra, ſemblable à un enfant qui auroit peur d’une ſouris, & à qui, pour le corriger de ce défaut, on la fera