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Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/200

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voir en peinture, chaque partie, l’une après l’autre, avant de riſquer de lui montrer l’original. Mais devinez par qui notre aimable & judicieux Pyrrhonien a été entraîné dans ce piége ? Par un homme qui dit que la philoſophie n’eſt rien, ſi elle n’eſt ornée ; plus déraiſonnable en cela qu’un chymiſte, qui diroit qu’il n’y a point de médecine ſans la chymie. La philoſophie bien réglée conduit à l’amour de la vie, dont nous éloigne ſon ſinatiſme (car elle a le ſien) ; mais enfin elle apprend à mourir quand l’heure eſt venue.

Séneque, ſi inconſéquent d’ailleurs, a ſu mourir quand il l’a fallu. Comme il avoit employé ſa pénétration a voir de loin l’orage qui le menaçoit, & ſa philoſophie (alors bien placée) à en recevoir le coup ; dès qu’il eut ordre de mourir, il choiſit de ſang-froid ſon genre de mort, & fit voir que y s’il avoit été homme durant ſa vie, s’il avoit été attaché à ces grands biens, objets de la jalouſie publique, & funeſtes préſens du plus cruel des princes, il favoit tout quitter & rompre ſes chaînes, comme un autre Samſom, pour périr en héros de ſa ſecte. Autant (il l’inſinue lui-même) il eſt honteux de ſe laiſſer traîner, au lieu de marcher, quand il faut obéir ; autant il eſt beau de s’élever au-deſſus de la mort par la grandeur du mépris. Il n’y a qu une action que je trouve encore plus belle, c’est d’avoir le courage de supporter le fardeau de la