Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/205

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bien-être a évidemment des droits plus preſſes que ceux de l’amour-propre ; & comme le plaiſir va devant l’honneur, pour qui a le goût bon, le pain eſt un aliment plus ſolide que la réputation »

Travaillons donc d’abord par nous l’aſſurer ; c’eſt le meilleur parti qu’on puiſſe tirer du préjugé des hommes, aſſez ſimples pour croire qu’un ſavant vaut mieux qu’un ignorant. La gloire au reſte viendra quand elle voudra. Que nous ſommes vains & dupes, qui pis eſt, de nous ſacrifier au chimérique honneur d’immortaliſer les lettres de l’alphabet qui compoſent nos noms ! Soyons meilleurs pilotes de la vie ; que le ſentiment ſeul nous ſerve de bouſſole, & nous ne ferons voile que vers le port de la liberté, de l’indépendance & du plaiſir.

Encore un mot ſur les dangers de la carrière où je ſuis entré : il eſt beau, je le veux, de pouvoir compter, non ſur le ſuffrage de la poſtérité qu’on ne rencontre point, mais ſur celui de quelques contemporains connoiſſeurs. Il eſt agréable de voir ſa raiſon & ſes lumieres croître & s’étendre ſous les aîles de la philoſophie & des muſes ; mais il y faut être en ſûreté, & que la poule ne laiſſe pas prendre ſes pouſſins, ou c’eſt être fou que de cultiver la ſageſſe. Ariſtote ne s’y fia pas plus que moi, & fit bien : la république d’Athenes, qui s’étoit déshonorée en condamnant à mort un homme qui valoit mieux qu’elle, n’eût pas rougi