Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/215

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il qu’il eſt auſſi doux & agréable d’être riche, que de ſe promener en hiver dans une belle allée que le ſoleil échauffe ; mais par un contraſte évident, qu’il paroît avoir exprès éludé, la pauvreté eſt l’ombre, où il fait froid. On a beau ſe pénétrer du ſouverain bien, & s’envelopper dans toute ſa vertu ; ni la vertu, ni la philoſophie, ne peuvent avec toutes leurs rames, nous conduire au port deſiré. Pauvre manteau d’hiver, qui n’empêche pas le vent du nord de glacer l'ame avec tout ſon courage !

Mais peut-être l'ame des Stoïciens habite-t-elle hors du corps, comme celle des Leibnitiens, ſans être ſujette aux loix imaginaires de la même harmonie ? D’ailleurs pour qui la douleur n’eſt point un mal, le froid qui en eſt un diminutif, ne ſeroit-il point un bien ?

Laiſſons Lucien railler, il ſeroit difficile d’imiter ſa légereté ; Séneque convient que le ſage peut & doit même conſentir d’être riche ; c’eſt-à-dire qu’il ne fera point de baſſeſſes pour le devenir, & qu’il n’aura point auſſi à rougir d’avoir reçu les richeſſes à bras ouverts ; mais qu’il leur donnera une eſpece d’hoſpitalité, que les pauvres & d’illuſtres malheureux partageront avec elles. Il n’y a gueres qu’un homme de mérite, qui rende ſervice à qui en a. C’eſt pourquoi le ſage, ou quiconque ſait uſer des richeſſes, ſoulagera les malheureux,