Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/216

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excitera la vertu, encouragera les talens, relevera le mérite opprimé, & en un mot s’en ſervira, plus en économe, qu’en maître. Quelle différence d’un tel homme, à ces ames baſſes & triviales, que la fortune enorgueillit, infiniment flattés de ce qu’il y a de plus étranger & de moins flatteur, & qui ne partagent avec qui que ce ſoit les commodités qu’ils en reçoivent ! Mais comme il n’y a qu’un fou, qui diſſipe ſon bien au gré de ſes caprices, dont la voix couvre celle de tant de miſerables, il n’y a qu’un lâche qui s’en ſerve pour tourmenter les hommes, & qui trouve, comme le Narciſſe de Britannicus, ſa félicité dans les malheurs dont il eſt cauſe.

Faire le bien de la ſociété, rendre les cœurs heureux de ſa joie, c’eſt le devoir d’un homme riche. S’il ne s’en acquitte pas, s’il n’eſt point compatiſſant, libéral, s’il ne ſouffre point à la vue de tant de pauvres que le plus opulent ne peut ſoulager, le dépôt a été mal confié ; il ne pouvoir être en de plus mauvaiſes mains.

Je ne deſire point d’être riche, pour avoir chez moi une foule de flatteurs & de faux amis, qui ſans un reſte de mauvaiſe honte, ou plutôt de perfidie, me tourneraient le dos preſque auſſi vite que la fortune : je ne voudrais poſſéder de grands biens, que pour jouir de cette belle prérogative, le plaiſir d’obliger ; la généroſité ſeroit toute ma magnifi-