Aller au contenu

Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils ſont perdus de dettes & d’honneur. Tant il eſt vrai que la vertu & la probité ſont choſes étrangeres à la nature de notre être ; ornemens & non fondemens de la félicité. Combien d’autres ſont auſſi vertueux qu’honnêtes, chaſtes, ſobres & malheureux ? Leur candeur, leur ſagesse, leur humanité eſt à toute épreuve ; mais ils n’en traînent pas moins après eux l’ennui de la ſolitude, la dureté de leur caractere & l’onéreux fardeau d’une raiſon qui ne ſe déride jamais : auſſi durs & ſéveres, que graves & ſilencieux, auſſi froids & triſtes, qu’hommes ſurs & vrais ; leur mélancolie, leur figure atrabilaire, font fuir les jeux & les ris déconcertés, effarouchés à leur aſpect. On les reſpecte & on les fuit, c’eſt le fort de la vertu ; tandis qu’on recherche avec empreſſement d’aimables vicieux qu’on mépriſe : c’eſt le ſort de l’urbanité & des graces. L’art de plaire eſt un grand acheminement au bonheur. Ici les uns ſont heureux en ne penſant pas plus qu’une P***, & en ne faiſant pas plus de cas de la réputation. Là, le malheur des autres vient de trop penſer, & à des objets noirs & lugubres, images triſtes que la nature tire, comme un rideau, devant l’imagination bouchée. Quelle reſſource ont ceux-ci ? Quelques palliatifs d’un moment ; le vin qui nuit enſuite ; les compagnies, les spectacles, la diſſipation, qui ne réuſſiſſent pas toujours. La ſociété des perſonnes extrêmement joyeuſes, afflige