Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/226

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& juſte objet de l’exécration des honnêtes gens y tu ſeras heureux cependant. Car quel malheur ou quel chagrin peuvent cauſer des actions qui, ſi noires & ſi horribles qu’on les ſuppoſe, ne laiſſeroient (ſuivant l’hypotheſe) aucune trace de crime dans l’ame du criminel. Mais ſi tu veux vivre, prends-y garde : la politique n’eſt pas ſi commode que ma philoſophie. la juſtice eſt ſa fille ; les bourreaux & les gibets ſont à ſes ordres : crains-les plus que ta conſcience & les dieux.

Les premiers hommes, qui en ont eu d’autres à gouverner, ont ſenti la foibleſſe de ce double frein. De-là eſt venue la néceſſité d’étrangler une partie des citoyens, pour conſerver le reſte, comme on ampute un membre gangrené, pour le ſalut du corps.

Goûtes auſſi, puiſque l’ingrate nature te le permet, prince cruel & lâche, ſavoures à longs traits la tyrannie. Eroſtrate voulut s’immortaliſer par le feu ; immortaliſe-toi par le ſang ; raffine dans l’invention des tourmens, comme un homme à bonnes fortunes dans celle des voluptés, & trouves-y, s’il ſe peut, le même plaiſir. Le ſeul bien qui ſoit en ton pouvoir eſt de faire du mal : faire le bien ſeroit ton ſupplice. Je ne t’arrache point au maudit penchant qui t’entraîne. Eh ! le puis-je ? il eſt la ſource de ton malheureux bonheur. Les ours, les lions, les tigres, aiment à déchirer les autres animaux :