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Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/227

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Féroce comme eux, il eſt trop juſte que tu cedes aux mêmes inclinations. Je te plains cependant, de te repaître ainſi des calamités publiques ; mais qui ne plaindroit encore plus un état où il ne ſe trouverait pas un homme, un homme aſſez vertueux pour le délivrer, aux dépens même de ſa vie, d’un monſtre tel que toi ?

Et toi-même, voluptueux (pour m’accommoder à ta foibleſſe, comme un chirurgien au vuide des vaiſſeaux), puiſque ſans plaiſirs vifs tu ne peux parvenir à la vie heureuſe, laiſſe-là ton ame & Séneque ; chanſons pour toi que toutes les vertus. ſtoïques, ne ſonges qu’à ton corps. Ce que tu as d’ame ne mérite pas en effet d’en être diſtingué. Les préjugés, les pédans, les fanatiques s’armeront contre toi ; mais quand tous les élëmens s’y joindroient… Que faiſoient à Tibulle, dans les bras de ſa Cloris, la pluie, la grêle & les vents déchaînés ? Ils ajoutoient à ſa félicité qui les bravoit. Prends donc le bon temps quand, & partout où il vient ; jouis du préſent ; oublies le paſſé qui n’eſt plus, & ne crains point l’avenir. Songes que le bled qui eſt ſemé hors du champ eſt toujours du bled ; qu un grain perdu n’eſt pas plus pour la nature qu’une goutte d’eau pour la mer ; que tout ce qui la délecte eſt plaiſir, & que rien n’eſt contr’elle que la douleur. Que la pollution & la jouissance, lubriques, rivales, ſe ſuccédant