Aller au contenu

Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut ſauter une puce, pour paſſer ſous ſilence tant d’autres miſérables objets ; pour moi qui ne ſuis curieux que de philoſophie, qui ne ſuis fâché que de ne pouvoir étendre les bornes, la nature active ſera toujours mon ſeul point de vue. J’aime à la voir au loin, en grand comme en général, & non en particulier, ou en petits détails, qui quoique néceſſaires juſqu’à un certain point dans toutes les ſciences, communément ſont la marque du peu de génie de ceux qui s’y livrent. C’eſt par cette ſeule maniere d’enviſager les choſes, qu’on peut s’aſſurer que l’homme non-ſeulement n’eſt point entierement une plante, mais n’eſt pas même un animal comme un autre. Faut-il en répéter la raiſon ? C’eſt qu’ayant infiniment plus de beſoins, il fallait qu’il eût infiniment plus d’eſprit.

Qui eût cru qu’une ſi triſte cauſe eût produit de ſi grands effets ? Qui eût cru qu’un auſſi fâcheux aſſujettiſſement à toutes ces importunes néceſſités de la vie, qui nous rappellent à chaque inſtant la miſere de notre origine & de notre condition, qui eût cru, dis-je, qu’un tel principe eût été la ſource de notre bonheur, & de notre dignité ; diſons plus, de la volupté même de l’eſprit, ſi ſupérieure à celle du corps ? Certainement ſi nos beſoins, comme on n’en peut douter, ſont une ſuite néceſſaire de la ſtructure de nos organes, il n’eſt pas moins évident que notre ame dépend