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PREMIERE PARTIE


vouër avec grande ſoumiſſion d’eſprit, que les voies dont Dieu ſe ſert pour ſauver les hommes, ne ſont pas ſouvent reconnoiſſables ; que ſes conſeils comme dit St. Paul, ſont des abymes impénetrables, & que ſes jugemens n’ont jamais été compris de perſonne (u)[1]. C’eſt par cette humble déferen-

  1. (u) Nous ne pouvons pas mieux finir cette premiere partie que d’inſerer ici l’Extrait du troiſiéme Tome de la Philoſophie Françoiſe compoſée par Monſieur de Cerizieres, Au monier de Monſeigneur le Duc d’Orleans ſur la diſpute de la Vertu des Païens.

    Mon deſſein n’eſt pas de me rendre arbitre de l’importante querelle, qui s’eſt aujourd’hui réveillée entre les Diſciples de Ianſenius & ceux qui les combattent : j’ai trop de connoiſſance de moi-même pour ne pas avoüer qu’il y a de plus habiles gens que moi dans l’un & l’autre parti. Ie les revere tous ſi parfaitement, que je ſuppoſe qu’ils ont les uns & les autres quelque raiſon. Et partant ſans me mêler de leur différend, pour conclure cette petite Morale, je veux bien dire mon ſentiment sur l’eſtime de la vertu des Infideles ; & ſans lui donner tout le prix que quelques-uns ne lui refuſent pas, lui accorder ce que perſonne ne lui doit diſputer. Ie ſai qu’il y a des perſonnes fi zèlées pour la Grace, ou ſi ennemies de la Nature, qu’elles ne veulent pas qu’un Païen ait
    jamais fait une bonne action ; au contraire leur opinion eſt que le principe de leurs actions étant infecté du Pèché Originel, & privé des ſecours de la Grace, il faut conclure qu’elles ne pouvoient être que mauvaiſes. On ſait St. Auguſtin Auteur de cette rigoureuſe doctrine ; mais pour ne point faillir dans un ſujet de cette confidération, je prétens faire l’Apologie de ce grand homme, puis de montrer le ſentiment des Peres, & en dernier lieu de marquer ce que chacun en peut croire ſans erreur.

    Pour le premier, j’eſtime que cet incomparable Prélat n’a pû ſe contredire, & partant qu’il n’a pû condanner les vertus des Infideles, puisqu’il les a tant de fois loüées. N’a-t-il pas dit que la vertu de Caton a été plus parfaite & plus voiſine des vertus de l’Evangile, que celle de Céſar ? Y a-t-il apparence qu’il comparât la conſtance, la juſtice & le courage de ce Romain aux vertus du Chriſtianiſme, s’il n’avoit eu que des vices ? Mais pour ne pas s’arrêter à un ſeul paſſage, ne nomme-t-il pas en un endroit la continence de Pois-

Tome V. Part. I. G