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DE LA VERTU DES PAYENS.


ce, & par ce néceſſaire abaiſſement d’eſprit, que nous finirons la premiere Partie de nôtre

    mon un don de Dieu ? en un autre il louë les aumônes que le Centurion Cornelius faiſoit a vant que d’être bâtiſé ; il parle avec eſtime de la bonté d’Asverus ; il fait des éloges des rares exemples de Seneque ; il appelle Ariſtote homme de bien, & croit que Platon eſt ſauvé. Et pour produire une preuve invincible de ſon ſentiment, n’avance-t-il pas dans le cinquiéme livre de ſa Cité, que les Romains reçûrent l’Empire de l’Univers, en vûë de leur vertu : d’où il faut conclure, que ce grand homme a jugé, que leurs actions Morales étoient bonnes, ou que Dieu recompenſoit le vice. Ie ſai bien que cet invincible Protecteur de la Grace a ſouvent parlé en ſa faveur, & que pour détourner les Pélagiens de leur erreur, il rend les actions du franc-Arbitre fort ſuſpectes. Ie n’ignore pas, qu’il prononce en beaucoup d’endroits de ſes Ecrits, que les vertus des Idolâtres n’étoient pas de véritables vertus. Mais qui ne voit qu’on dit qu’un Diamant de Veniſe n’eſt pas un véritable Diamant, ſans dire qu’il ne vaut rien ; & que St. Auguſtin a pû aſſurer, que les vertus des Païens étoient fauſſes à l’égard de la gloire éternelle, qu’elles ne peuvent mériter ; ou qu’elles n’étoient pas véritables, ſi on les comparoit aux vertus infuſes des Chrétiens ? Vouloir que cet Atlas de la Foi ait été Semipélagien, quand il a favorablement parlé
    des bonnes actions des Infideles, c’eſt lui faire outrage pour lui rendre de l’honneur, & ignorer volontairement qu’il n’a écrit la plûpart des choſes que j’ai rapportées, que dans ſon extreme vieilleſſe ; & que ſes Retractations, qui ont des cenſures pour des ſentimens plus innocens que ceux qui approcheroient de l’héréſie, ne diſent, rien contre ceux-ci.

    On ne peut douter que tous les Peres n’aient tenu les Vertus des Païens pour de véritables vertus, & qu’ils ne les aient loüées. Juſtin le Martyr, Origene, Saint Baſile, Saint Ambroiſe, & Saint Chryſoſtome ne font point de difficulté de nommer quelques Infideles patiens, miſericordieux, ſages, juſtes & temperans. Saint Jerôme plus expreſſément que pas un d’eux, ſoutient ſûr l’Epitre aux Galates, que les Païens ont fait des actions pleines de ſainteté & de ſageſſe ; & ſur Ezechiel il aſſure que Nabuchodonoſor reçût des recompenſes temporelles de Dieu : parce qu’il avoit juſtement chatié la ville de Tyr. Qu’on examine ceux, qui ont écrit depuis ces célébres Docteurs juſqu’à Saint Thomas, on les trouvera tous conformes dans ce même ſentiment.

    Et à n’en point mentir, il ſemble qu’ils ne peuvent en avoir d’autre ſans choquer l’Ecriture & la raiſon. Le vieux Teſtament publie cette vérité en beaucoup d’endroits, & témoigne que les