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DE LA VERTU DES PAYENS.

La raiſon de cette doctrine eſt, que tout le bien de la nature ne ſe trouve pas corrompu par l’infidelité, ni la lumiere de l’entendement si abſolument offuſquée, qu’un Païen ne puiſſe encore reconnoître ce qui eſt vrai, & ſe porter au bien enſuite. C’eſt pourquoi comme les Fideles ne ſe laiſſent pas d’être aſſez ſouvent vicieux, il n’eſt pas impoſſible non plus, qu’un Infidele ne puiſſe exercer quelques vertus, quoiqu’elles ne ſoient pas accompagnées du mérite, que donne la grace qui vient de la Foi. Auſſi n’y a-t-il eu aucun des Peres de l’Eglise qui ait fait difficulté de parler, quand l’occaſion s’en eſt présentée, de la prudence d’Ulyſſe, de la force d’Achille, de la justice d’Aristide, ou de la temperance de Scipion. Que s’ils ont dit quelquefois, que hors le Christianiſme il n’y a point de véritables Vertus, & ſi Saint Auguſtin & Saint Thomas ont nommé celles des Païens de fauſſes Vertus[1], ça été eu égard à la félicité éternelle, où elles n’étoient pas capable de les conduire toutes ſeules. Les Peres ont encore ſouvent parlé ainſi, faiſant comparaison des vertus morales ou intellectuelles des Idôlâtres, aux vertus infuſes des Chrétiens, que Dieu inſpire avec la grace surnaturelle, & auprès deſquelles les premieres paroiſſent imparfaites & comme de mauvais aloi.

  1. l. 4. contra Iulianum c. 3. 1. 2. qu. 65 art. 2.