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DE LA VERTU DES PAYENS.


miere bonne action qu’ils adreſſoieni à Dieu ſi heureuſement, qu’il l’avoit agréable. Quant

    ſes Loix, que la trop grande af fection qu’on ſe porte, eſt la ſource de tous nos pèchés ; qui eſt une ſentence tout à fait E vangelique. Mais il n’y a point d’apparence de condannerindif féremment en qui que ce ſoit toute ſorte d’amour propre. Il n’eſt pas vrai non plus, §l’ai déja obſèrvé dans ce Livre, qu’à parler abſolument ce ſoit un vi ce, comme on le veut faire pas ſer d’aſpirer à la gloire. Il y a une ambition honnête, & un juſte deſir d’honneur, que le Chriſtianiſme ne blâme pas, non plus que le Gentiliſme. Autre ment St. Thomas auroit eu tort de dire qu’on doit élever un jeu ne Prince dans le deſir de la gloi re, pour lui donner le goût des Vertus. Et la doctrine de Chas ſanée conforme à celle des Iu riſconſultes, ſeroit fauſſe, que ce qui ne ſe peut faire ſans la erte de l’honneur, ne ſe peut † tout point faire, à cauſe qu’en ce ſens-là ce qui eſt honteux eſt reputé impoſſible. Que le plus auſtere de l’opinion contraire mette la main à la conſcience, & me diſe fidélement s’il eſten tierement exemt de ce deſir d’être en eſtime, que je ſoutiens n’être pas illicite. Si eſt-ce que les Païens dont on ne peut ſouffrir la moindre ambition, ont été ſi moderés en cela, qu’ils mettoient ſouvent le plus haut point de la gloire à la mépriſer, gloriam qui ſpreverit, veram ha bebit, dit celui-là dans Tite Live Dec. 3.l.a. On n’a qu’à re
    marquer ce beau paſſage pris de la fin d’une des Lettres de Seneque. Qu’un homme veritablement vertueux doit faire littiere de ſa reputation, & fouler aux pieds le point d’honneur, où il eſt queſtion de conſerver fon innocence, Iuſtus eſſe debet cum infamia, & tunc fi ſapit, ma la opinio bene parta deleétat. Ce lui-là ſacrifie à la vaine gloire, & non pas à la Vertu, qui ne fait des actions vertueuſes que pour en tirer de la gloire, quf virtutem ſuam publicari vult, mon virtnti laborat, ſed gloriae. Qu’on me diſe après cela, ſurquoi l’on ſe fonde pour maintenir con tre le ſentiment de tous les Hi ſtoriens, que l’action de conti nence dont uſaScipion àl’égard de cette belle Captive, ne pro cedoit que d’une grande ambi tion, & d’une pure vanité qui le poſſedoit ? Pourquoi n’ima gine t-on pas plûtôt, vû nos conjectures précedentes, que ſon intention étoit de faire unecho ſe qu’il croioit être agréable à l’Auteur de la Nature, parce u’elle étoit vertueuſe ? En ef et, outre qu’il n’y a que Dieu, ui ſoit ſcrutateur des cœurs, qui pénetre juſques dans le plus interieur de nôtre ame, la raiſon, ni les commandemens Divins ne ſouffrent pas que nous uſions d’une pire interpretation ſur ce que font les autres, que celle que nous ſerions bien-aiſe qu’on donnât à nos propres actions. C’eſt la même choſe de toutes celles des Gentils,