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DE LA VERTU DES PAYENS.


me façon que nous croions que les Chrétiens l’obtiennent aujourd’hui. Juſques-là que

    que hommes reçoivent en naiſſant un raion de la ſupréme Raiſon, ou du Verbe Eternel qui les con vie à l’obſervation de cette Loi. Ie ſai bien que ſans la Grace ils n’avançoient rien en ce qui con cerne le ſalut éternel. Mais il n’eſt pas vrai, comme on l’avou lu dire, que cette Grace n’ait point été donnée aux homines avant la venué du Fils de Dieu. St. Epiphane a refuté les Mani chéens, qui ne vouloient pas que perſonne eût été ſauve avant la 15. année de l’Empire de Ti bere. Et nous apprenons du Pape Leon, que la Grace a été dès le commencement du mon de en vertu du Verbe Divin. Tout le bien que l’homme a fait depuis ce tems-là, a été par une Grace qu’il a reçûë de Dieu, comme Auteur de la Nature, ſi · le bien n’étoit que naturel ; ou du même Dieu comme Auteur d’une plus haute Grace, ſi le bien étoit ſurnaturel. Tant y a que je n’ai jamais penſé à ſau ver determinément pas un Gen · · til, pour vertueux qu’il ait été, quoique j’aie dit qu’à l’égard de Socrate ou de ſes ſemblables dont St. Iuſtin & aſſez d’autres Peres ont eu très bonne opinion, il y avoit peut être de la temé rité à ſoutenir leur dannarion, & à dénier que Dieu par une Grace extraordinaire ne pût leur avoir fait miſericorde. Or ſans parler d’aucune des queſtions de la Grace, oû je n’entre point, je repete ſeulement, qu’encore que les Vertus Morales des Paiens fuſ
    ſent ſteriles pour le Ciel, ce n’eſt pas à dire pourtant qu’elles ne fuſſent pas Vertus, & beau coup moins qu’elles fuſſent des vices dans leur principe qui n’ait été que vanité. Ils les ont conſidérées & ſuivies pour l’amour du Ciel, dont ils ont crû qu’el les tiroient leur origine. Pindare Ode 6. Iſthm. les nomme ſur cela, δεοδμάτήζ άγετάζ, à Deo inſi tas virtutes vel collatas. Et dans l’Ode… Pyth. il reconnoit que toutes les vertus, ſoit du corps, ſoit del’eſprit, viennent de Dieu. Mais quandles meilleures actions des Gentils n’auroient pas eu cet te intention formelle & expreſſe de plaire à Dieu, il ne s’enſuit pas néanmoins qu’elles fuſſent vicieuſes ; puiſque la Morale même Chrétienne nous apprend, qu’il ſuffit pour en faire de vertueuſes, qu’elles ſe rappôrtent finon actuellement, pour le moins tiftuellement à Dieu ; ce qui arrive quand nous faiſons avec affection une œuvre à cau ſe qu’elle eſt bonne, parce que c’eſt aimer par là tacitement cet te éternelle Bonté, dont ellé par ticipe, & cette infinie Sageſſe qui eſt la premiere & ſouverais ne Loi de tout ce qui eſt Bien. Saint Thomas 2.2.qq. 2 ;. art. 7, in concl. nous apprend d’ailleurs, qu’une Vertu, pour être inipax faite, ne laiſſe pas d’être quel quefois une véritable Vertu, erie quidem vera Virtus, ſèd imperfe étu, mifi referatur adfinale ès’per fectum bonum : ce qui peut ſer-