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DE LA VERTU DES PAYENS.


commis de trés énormes crimes, en recevoient pardo dès l’heure, qu’ils étoient tou-

    cord. Mais qu’on ne lui puiſſe donner abſolument le nom de Vertu Morale, priſe our une conſtante diſpoſition àbien faire & à ſuivre la raiſon, ſelon la definition dont l’on a convenu de tout tems dans l’Ecole, c’eſt ce qui eſt entierement parado xique, & à quoi il n’eſt pas poſſi ble de donner les mains, vû le ſentiment contraire de tous les Docteurs de l’Egliſe, qui n’ont pas moins reſpecté St.Auguſtin, † ceux qui le veulent prendre garent d’une telle doctrine. De même que ce ſeroit une mo querie de ſoutenir que les Gen tils n’avoient nulle ſorte de ſa voir, qui eſt une vertu intelle ctuelle, ſur ce prétexte qu’ils ne poſſedoient pas la ſcience qui eſt dans les Livres ſaints. Il n’eſt’pas plus ſelon la raiſon de prétendre qu’ils n’aient eû au cune Vertu Morale, pour n’avoir pas été gratifiés de celle qui vient du Ciel par une grace ſur naturelle. Dirons-nous ſans être ridicules, qu’Ariſtote, Eucli de, & ces autres grands Mai tres des ſciences, n’étoient que des ignorans ? C’eſt la même choſe de ſoutenir que Socrate, Ariſtide, & leur ſemblables, ſi nous leur en pouvons donner, n’eûrent jamais de Vertu, & ne commirent en toute leurvie que des crimes. Voiés en quels ter mes la Philoſophie parle de So crate, d’Anaxagore, & de Se neque, en conſolant Boêce, Lib. z. de conſol. Philoſ proſ 3. & vous jugerés facilement, que les Chré
    tiens de ſon tems étoient bien éloignés de ces opinions ſi ex trèmes & ſi inhumaines. L’idolâtrie même de quelques Eth niques ne corrompoit pas de telle ſorte tout le bien de leur nature, qu’ils ne puſſent faire aucune bonne action. Tant s’en faut, comme on aſſure qu’il ne croit nulle part de plus beau gazons, ni d’herbe qui ſoirplus. verte, qu’au ſommet d’Etna, & de ces autres Montagnes qui vomiſſent des feux preſque con tinuels : on rémarque de même que les plus beaux exemples de Morale ſe trouvent dans les ſié cles les plus corrompus ; la Ver tu s’y fortifie contre le vice : & l’oppoſition des contraires fait qu’ils éclatent au double de part & d’autre. Il faut chan ger tous les principes de la do ctrine des mœurs, ou reconnoi tre que les vertus & les vices, ſont ſi peu incompatibles, qu’ils logent preſque toujours en mê me lieu. Car quoique Virgile pour nommer Buſiris le plus méchant des hommes, l’appelle Illaudatum, comme celui qui n’aiant nulle bonne qualité, ne méritoit par conſequent nulle loüange, ce qui le rendoit le plus déteſtable qu’on ſe puiſſe imaginer vid. Macrob. 6. Satur. c. 7. Si eſt-ce qu’il faut prendre cela Poétiquement, Buſiris n’aiant pas laiſſé d’avoir quelques parties recommandables, & quel ques vertus enſevelies dans la multitude & l’extremité de ſes vices. En effet, nous aprenons de