Page:La Nature, 1873.djvu/298

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
290
LA NATURE.

nuer l’œuvre de Prométhée sur des statues désormais animées. » Le chirurgien doit avoir un sang-froid à toute épreuve, de l’énergie, de l’autorité sur ses semblables. Il doit se montrer tour à tour ingénieux, inventif, adroit et fécond en expédients. C’est principalement à son intention que Franklin a dit : « Il faut savoir percer avec une scie, et scier avec une vrille. »

Nélaton réunissait, en son intelligence, ces rares facultés qui, jointes à l’amour du travail, lui permirent d’atteindre le rang des grands hommes, sans que l’éclat de la naissance, ou les avantages de la fortune lui aient prêté le moindre secours aux débuts de sa carrière.

Il naquit le 17 juin 1807. « On avait remarqué de bonne heure, dit un de ses biographes anonymes, chez l’enfant et chez le jeune homme les qualités les plus heureuses. Il était docile, appliqué, réfléchi ; son intelligence était plus sûre que vive, ses moyens plus solides que brillants. Il se destina, sans trop d’hésitation, à la carrière de la médecine et ses débuts dans l’école ne semblent avoir présenté rien de particulier. Ses camarades ne voyaient en lui qu’un élève assidu à l’amphithéâtre et à l’hôpital, curieux d’apprendre, intelligent, ingénieux, mais exempt de ces ardeurs fougueuses qui rompent tous les obstacles et qui marquent souvent les débuts des grands caractères. »

En 1836, Nélaton est reçu docteur en médecine et sa thèse qui avait pour titre : Recherches sur l’affection tuberculeuse des os, produisit une véritable sensation dans le monde médical. Ce travail, essentiellement fondé sur l’anatomie et la clinique, révélait chez son auteur un esprit original, audacieux, fécond. Quelques années après, en 1839, Nélaton est nommé chirurgien des hôpitaux, et agrégé à la Faculté de médecine ; pendant dix ans on le voit sans cesse prendre part à tous les concours ouverts pour le professorat, avec une constance inébranlable et une étonnante ténacité. Le travail semble être sa seule préoccupation, et il acquiert beaucoup de science et beaucoup de pratique dans cette phase de son existence, jusqu’au moment où il est nommé au concours, professeur de clinique chirurgicale en avril 1851.

Un changement manifeste s’opère alors dans les allures de ce candidat d’hier, aujourd’hui devenu maître ; il se sent à l’aise sur la scène où il a ambitionné depuis longtemps de jouer un rôle. Son esprit d’observation se révèle, sa hardiesse et son jugement se manifestent ; il attire à lui la jeunesse, les étudiants, il est entouré d’une assistance nombreuse et renouvelle bientôt le succès des cliniques de Dupuytren. Nous laisserons apprécier le professeur par un de ses amis, qui a su retracer, en un tableau sincère et vivant, les mâles qualités et le mérite de Nélaton :

« Ce qu’il fut comme professeur de clinique chirurgicale à la Faculté de médecine, dit M. Sappey, un court parallèle nous le dira. Nélaton était élève de Dupuytren. Entre tous ses titres, aucun n’avait plus de prix à ses yeux. Depuis le jour où il lui fut donné, pour la première fois, de voir et d’entendre cet homme célèbre jusqu’au moment où une lente agonie est venue le clouer sur son lit de douleur, l’élève a conservé pour le maître une déférence égale à sa vive admiration. Formé à son école, doué des puissantes facultés qui l’avaient illustré, il grandit en quelque sorte à l’ombre et dans le culte de sa mémoire. À trente ans de distance, l’élève était devenu l’émule du maître. Le chirurgien de la Clinique avait pris en Europe la grande position qu’occupait autrefois le chirurgien de l’Hôtel-Dieu. Si la loi qui règle nos destinées avait permis alors qu’ils se trouvassent en présence, le maître eût été fier d’un tel successeur ; et l’élève, toujours animé des sentiments de sa jeunesse, se fût incliné encore avec le même respect devant celui qu’il considérait comme la personnalité vivante du génie de la chirurgie.

« Ils se rapprochaient par les grandes qualités qui font l’homme supérieur et le chirurgien éminent, mais différaient, du reste, par tous les autres côtés de leur organisation. L’un et l’autre brillaient par le regard pénétrant qu’ils apportaient dans l’examen des malades, par l’art infini qu’ils mettaient à grouper dans leur enchaînement le plus naturel tous les phénomènes observés, par la lucidité avec laquelle ils précisaient le siège et la nature de la maladie. Celle-ci déterminée, ils montraient la même habileté à saisir les indications qu’elle présente, le même talent à les remplir. C’était surtout dans les cas difficiles qu’on aimait à les voir et à les entendre ; déroulant le tableau de la maladie, ils n’en dissimulaient pas les points obscurs, ils les mettaient, au contraire, en pleine évidence ; puis, par l’interprétation logique des faits, par la comparaison de ceux-ci avec des faits analogues puisés dans les annales de la science ou dans leurs souvenirs, par une savante et lumineuse discussion, ils soulevaient peu à peu le voile sous lequel se cachait la lésion à combattre et finissaient le plus souvent par la montrer dans tout son jour. Qui n’a vu notre éminent collègue aux prises avec une de ces grandes difficultés de la chirurgie, qui n’a assisté à une de ces leçons dans lesquelles il répandait sur son sujet et sur ses auditeurs les vives clartés de son esprit, ne saurait avoir une juste idée du caractère et de l’élévation de son talent. Il apportait dans les opérations une main ferme et sûre, calculant et prévoyant tout d’avance, allant droit à son but, ne se préoccupant que des intérêts du malade. Si l’un de ces accidents que la science la plus consommée ne permet pas de prévoir venait à surgir, avec une admirable présence d’esprit il modifiait à l’instant même tout son plan d’opération, et arrivait à son but, aussi sûrement, aussi rapidement par une route improvisée.

« Comme professeurs, Dupuytren et Nélaton ont obtenu tous les deux un éclatant succès. Tous deux étaient suivis dans leur clinique par la foule des élèves et des médecins étrangers. De la part de ceux-ci c’était le même empressement, le même dé-