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Page:La Nature, 1874, S1.djvu/54

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LA NATURE.

naient d’être creusés par son père. En effet, quelques années auparavant, Charles-Gaspard avait imaginé les flotteurs électriques et constaté l’action dont son fils devait tirer une si brillante expérience.

À partir de 1846, Auguste de la Rive n’avait plus à sa disposition les instruments de l’Académie de Genève. Il se créa un laboratoire dans la maison de campagne que sa famille possède depuis plus de quatre siècles à Presinges.

Cette maison historique est située à 8 kilomètres de Genève dans un vallon retiré, de sorte qu’on n’y a ni la vue du lac ni celle du Mont-Blanc. Le parc qui l’entoure est très-vaste, l’avenue principale a près d’un kilomètre de longueur. On y admire une grande quantité de vieux arbres imprimant à ce manoir, que de la Rive se plaisait à administrer lui-même, un caractère de beauté tranquille et majestueuse.

Le comte de Cavour, allié et ami de la famille de la Rive, allait souvent méditer à l’ombre de ces grands chênes séculaires sur les destinées de l’Italie future. Parmi les visiteurs et les hôtes de Presinges, nous citerons encore le feu duc de Broglie, le vénérable Léopold de Buch, MM. Charles Sainte-Claire Deville, Grove, Verdet, Matteucci, le comte Rossi, Töpffer, Sismondi et Agassiz. C’est à Presinges qu’Arago vérifia les merveilleuses découvertes d’Œrstedt. C’est là qu’il conçut l’idée première de l’électro-aimant, c’est là que Ampère, le génie incomparable, venait respirer l’air des montagnes et se retremper au foyer d’une aimable hospitalité helvétique.

Séduit par la nature franche et vive du fils de son ami, Ampère aimait à guider ses premiers pas et à diriger lui-même ses premières expériences. Il avait réussi à lui transmettre une étincelle de ce feu sacré qui le dévorait lui-même, et que seule la mort put éteindre dans son sein. C’est enfin à Presinges, que Faraday fut révélé à Davy dans des circonstances bien étranges.

Davy, qui allait en Italie pour faire son pèlerinage artistique et philosophique, avait emmené avec lui de Londres, Faraday, alors simple garçon de laboratoire, hier encore ouvrier relieur.

Faraday, inconnu et très-pauvre, avait sollicité de Davy la permission de l’accompagner sur le continent à quelque titre que ce fut. Davy avait dit oui, mais à condition que Faraday se considérerait comme un simple domestique, et Faraday, rigide observateur de sa parole, s’acquittait de ses fonctions avec une ponctualité toute britannique.

Davy allait souvent à la chasse avec son ami Charles-Gaspard de la Rive, qui eut occasion d’entretenir son valet. Il fut frappé de la pénétration singulière de cet homme, lui demanda quelques éclaircissements et obtint la confidence du singulier marché que Davy avait fait. Vainement il voulut obtenir de Davy de transformer la situation de son valet ; l’obstiné physicien refusa de l’admettre à sa table. Craignant de froisser un ami, mais ne voulant pas humilier plus longtemps un homme, dont il avait compris la valeur, de la Rive prit un terme moyen ; il décida que Faraday, au lieu de manger avec les domestiques, serait servi seul dans sa chambre. Le jeune de la Rive allait quelquefois partager ses repas solitaires. De là date une amitié qui, malgré la différence des âges, fut, on le comprend, des plus vives et des plus tendres.

Le laboratoire où de la Rive a exécuté ses travaux, depuis l’année 1846 jusqu’en 1863, était situé au premier étage du bâtiment que nous avons représenté au premier plan de notre gravure. C’est dans d’autres parties de la maison, qui a été remaniée à plusieurs reprises et qui n’a aucune prétention architecturale, que les travaux avec Davy et avec Ampère ont été exécutés. C’est là que de la Rive a reçu ses premières leçons de la part de grands génies qui ont laissé dans notre histoire une trace si glorieuse.

Depuis 1869 jusqu’à sa mort, Auguste de la Rive avait établi son laboratoire dans une maison qu’il possédait en ville. Il se composait de trois ou quatre chambres situées au rez-de-chaussée, où l’on avait établi les conduites d’eau et de gaz nécessaires, mais sans aucun luxe. Comme tous les grands inventeurs, Auguste de la Rive ne croyait pas qu’il y eût au monde un seul physicien assez riche pour se payer le luxe d’instruments inutiles. C’est seulement à Paris, à propos de l’Exposition universelle, que ses belles démonstrations sur la rotation des courants électriques dans le vide de la machine pneumatique ont eu lieu sur une échelle grandiose.

Ce qui frappait le plus dans Auguste de la Rive, c’était l’activité extraordinaire et l’étendue de son esprit. Il n’y avait, pour ainsi dire, pas de sujet auquel il ne prît un intérêt des plus vifs. Il était toujours prêt à prendre part aux discussions, et dans tout il recherchait ce qui avait de l’importance, il mettait constamment le doigt sur le nœud vital.

Sa mémoire était excellente, on pourrait dire admirable, et il l’exerçait sans cesse. Il n’y a guère de travail important de ces trente dernières années qu’il n’ait lu, dans quelque langue qu’il ait été écrit.

Son grand ouvrage sur l’Électricité donne la preuve de cette merveilleuse érudition. Car tous les chapitres sont accompagnés d’une bibliographie inestimable, où tous ces travaux analogues sont admirablement résumés.

Nous ne pouvons indiquer ici toutes les découvertes qui sont dues à cet homme célèbre, et qui lui ont valu l’honneur si mérité d’être un des huit associés étrangers de l’Académie des sciences, mais nous ne pouvons passer sous silence l’invention des piles à peroxyde de plomb, qui sont le premier pas fait dans l’utilisation des composés insolubles, la découverte de la boussole des sinus, seul moyen de mesurer rigoureusement les courants, enfin la découverte de la dorure électrique.

Riche et dévoué à la science, de la Rive ne chercha point à accroître sa fortune. Il abandonna généreusement au public l’usage des propriétés électro-chimiques des courants. Il ne garda pour lui que l’honneur d’être, en 1842, le lauréat de l’Académie des