Page:La Nouvelle Revue, vol. 20 (janvier-février 1883).djvu/296

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avait plusieurs lignes soigneusement effacées, et plus loin :) Non, non, non !… Il faut reprendre son collier… Si pourtant c’était possible !…

Aratof laissa tomber la main qui tenait le cahier, et sa tête se pencha lentement sur sa poitrine.

— Mais lisez donc ! s’écria Anna ; pourquoi ne lisez-vous pas ? Reprenez du commencement, vous n’en avez que pour quelques minutes, quoique ce journal renferme près de deux années. À Kazan, elle n’y a plus rien écrit.

Aratof se leva de sa chaise — et tomba lourdement à genoux devant Anna.

Celle-ci resta comme pétrifiée de surprise et d’effroi.

— Donnez, donnez-moi ce journal, dit Aratof d’une voix entrecoupée, en tendant ses deux mains vers Anna. Donnez-le-moi, et la photographie aussi ; vous en avez certainement une autre… Je vous rendrai le journal…, mais il me le faut…, il me le faut !

Dans sa supplication, dans le bouleversement de ses traits, il y avait quelque chose de si désespéré, que cela ressemblait presque à de la colère, à de la souffrance. Il souffrait, en effet ; on aurait dit qu’il n’avait jamais pu prévoir ce qui lui arrivait, et c’est avec une sorte de fureur qu’il suppliait de l’épargner, de le sauver.

— Donnez, répétait-il.

— Mais… vous avez donc été amoureux de ma sœur ? dit enfin Anna.

Aratof continuait à rester à genoux.

— Je ne l’ai vue que deux fois, croyez-moi, et si je n’y étais poussé par des causes que je ne puis ni comprendre ni expliquer…, si je ne sentais pas peser sur moi un pouvoir plus fort que moi-même, je ne me serais pas mis à vous prier…, je ne serais pas venu ici. Il me faut ce cahier… N’avez-vous pas dit vous-même qu’il était de mon devoir de réhabiliter sa mémoire ?

— Et vous n’avez pas été amoureux de ma sœur ? demanda derechef Anna.

Aratof ne répondit pas sur-le-champ et détourna la tête comme pour éviter un coup.