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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/779

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parût s’intéresser à la gamine brune et pensive qui tenait si peu de place dans la maison. Parfois, accompagnée de la bonne, je le rencontrais dans les allées du Luxembourg. S’il était seul, il me donnait un baiser froid « Tu vas bien, petite ? » Là se bornaient nos effusions. L’intimité s’arrêtait au tutoiement, à certaines formes d’un sans-gêne, sans comporter le moindre échange d’affection. Je ne me rappelle aucune circonstance de ma vie où Maxime ait pris un rôle intéressant.

Aussi je l’aimais peu, ce garçon hautain, concentré et sarcastique et je devinais qu’il flattait l’orgueil de ses parents, sans satisfaire leur tendresse. Il semblait incapable d’émotion. Personne ne pouvait dire l’avoir vu pleurer. Épris d’un petit livre qu’il relisait sans cesse et que je trouvai un jour, le Rouge et le Noir, d’Henri Beyle, il affectait d’admirer les impassibles, les audacieux, les hommes d’action… Nul n’avait pénétré ses plaisirs, ses amours, ses dépenses, l’intimité secrète de sa vie ; nul ne pouvait l’accuser d’imprudences ni de débauches. Il était sérieux. Il travaillait. De petites revues de jeunes avaient publié des articles de lui, signés d’un pseudonyme et qui surprenaient par leur éloquence agressive. Et dans la famille Gannerault régnait un malaise, une méfiance, l’attente angoissée des destinées de ce fils. Son avenir était mystérieux et menaçant comme son âme — son âme close et profonde. S’il était bon ou mauvais, personne n’eût osé le dire, mais dans sa bouche les paroles de bienveillance même prenaient un goût amer.

J’avais douze ans. J’étais formée déjà comme une jeune fille et Mme Gannerault s’avisa tout à coup de songer sérieusement à mon éducation. Mon parrain m’avait donné quelques leçons et je savais à peu près autant d’histoire et de géographie que les fillettes de mon âge. Seule, mon instruction religieuse avait subi un singulier retard. On m’envoya donc rue des Feuillantines chez Mme Dumarquet, une institutrice osseuse et jaune, qui, mariée, avait l’air d’une vieille fille. Le pavillon qu’elle habitait, au fond d’une cour, datait peut-être de l’époque où cette même rue des Feuillantines avait vu passer les enfants du général Hugo. Les classes étaient situées au premier étage et nous prenions le repas de midi dans la grande pièce du rez-de-chaussée, qui ouvrait sur la cuisine et sur le prétendu jardin. Le mur était garni de porte-manteaux où pendaient des tabliers noirs, des cartables de toile cirée, des chapeaux et des cordes à sauter, pêle-mêle. Je sens