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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/791

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je me sentais étouffer dans ma chambre étroite. Demi-nue, je me penchais à la fenêtre ; l’air frais apaisait cette fièvre singulière qui brûlait mon sang et le vent d’automne, effleurant ma poitrine, semblait emporter le cauchemar qui l’écrasait… Alors je considérais ma destinée… Je pensais à l’Inconnu qui traversait parfois mes songes, à celui qui dormait ou veillait sous ces mêmes étoiles, par cette même nuit, tout près de moi peut-être, et si loin !…

Ni Mme Gannerault ni mon parrain ne semblaient comprendre la crise que je traversais. Pour eux, j’étais une enfant, une enfant taciturne et bizarre dont le caractère les inquiétait. Mes amies préférées, Madeleine Larcy, Suzanne Exelmans étaient l’une trop naïve, l’autre trop frivole… À qui parler, à qui confier mon intime misère, le mal d’ennui et de désir qui me tourmentait ? Je me sentais étrangère à tout et à tous. Les livres, les conversations surprises, les choses vues, entendues, devinées surtout, me faisaient pressentir un monde d’hypocrisies, de lâchetés, d’égoïsmes féroces, le règne universel de la médiocrité. Je souffrais de cette prescience. À ce moment critique et décisif de la puberté morale, je me sentais sans guide et sans soutien.

Et voici qu’un jour pluvieux de novembre, un caprice de ma marraine nous fit entrer dans une église où prêchait un prêtre inconnu. Il développait avec un art délicat cette parole de saint Jean « Mes bien-aimés, Dieu est amour !… » et comme s’il eût parlé pour moi seule, ses paroles versaient une myrrhe embaumée, une fraîche lumière dans les ténèbres de mon cœur. Aussitôt — l’extrême jeunesse a de ces ressources généreuses — les souvenirs troubles des scènes qui avaient accompagné ma première communion, s’atténuaient, s’effaçaient, reculaient dans un passé chimérique. Et les rares élans religieux de mon enfance se coloraient des mirages de mon imagination… Trop jeune pour goûter la vie, trop mûre pour ne point la désirer, je trouvais un aliment à l’ardeur d’amour qui me consumait en silence. Dieu seul, lui qui est amour, me révélerait les joies de la tendresse partagée, l’extase des effusions, la douceur des confidences. Et brusquement, sans réfléchir ni m’interroger, je me jetai dans la foi comme je me serais jetée dans la passion. Je balbutiai, dans la prière, le langage instinctif de l’amante. La lecture de l’Imitation acheva de m’affoler. Certes, je ne le comprenais qu’à demi, et je l’interprétais étrangement, ce poème ardent et désolé du