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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/83

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Là, il annonce la péripétie par ces menaces progressives et dramatiques :

Qui cache sa colère assure sa vengeance,
Et ma feinte douceur prépare beaucoup mieux
Le piège où tu vas choir, et bientôt, à mes yeux.

Auguste aurait pu dire à Cinna :

Je vois tous mes soupçons passer en certitudes
Et ne puis plus douter de tes ingratitudes !

Et le roi eût dit volontiers du Cid :

Je ne sais qui je dois admirer davantage,
Ou de ce grand amour ou de ce grand courage.

Je voudrais présenter au lecteur des fragments plus étendus, mais j’excéderais la mesure de cette étude : je le renvoie au texte en estimant qu’il sera amplement payé de sa peine par les nombreux passages où s’affirment dès lors l’élévation et la spontanéité du style cornélien. On comprend que le poète ne tardera pas à renoncer à la route qu’il a prise ; plus on s’approche de sa grande époque, plus on le sent maître de sa forme et en possession d’une énergie qui va déborder. Ses contemporains ont eu d’ailleurs le bon goût de ne pas s’y méprendre : dès le temps de la Veuve, Rotrou célébrait

Ce mérite à qui rien n’est égal ;

le vieux Mairet saluait

Le premier des beaux esprits ;

et Scudéry, avec une admiration qu’il aurait dû réserver pour le Cid, traduisait le sentiment public en s’écriant :

Le soleil est levé ! Retirez-vous, étoiles !

Corneille n’a pas eu, il faut l’avouer, de grands sacrifices à faire en abandonnant la comédie, car il n’en connaissait que la lisière. En vérité, ses personnages n’avaient jamais quitté le décor et leur langage est toujours factice. Jeunes seigneurs et belles dames, peu dissemblables les uns des autres, préoccupés de capricieuses étourderies, de jolies phrases, de galanteries brillantes, ne sont que très rarement émus. Dans la rhétorique de leurs dialogues et monologues, dans le lyrisme de leurs stances, dans