Page:La Nouvelle Revue, volume III-13 (janvier-février 1910).djvu/10

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Nicératos. — Crie à ton aise ! je m’en vais assommer ma femme !… (Il fait mine d’aller chez lui.)

Déméas, à part. — Qu’est-ce que je vais bien faire ? tout cela est bien ennuyeux… je ne permettrai pas… (en retenant encore Nicératos.) Où vas-tu ? attends donc !

Nicératos. — Ah ! ne me touche pas !

Déméas. — Contiens-toi donc !

Nicératos. — Tu me fais injure, Déméas — c’est évident — et tu es au courant de toute l’histoire !

Déméas. — Alors, c’est à moi qu’il faut s’adresser ! et ne tourmente plus ta femme !

Nicératos. — Est-ce ton fils qui m’a roulé ?

Déméas. — Niaiseries que cela ! Il épousera la jeune fille, mais il n’y a rien de ce que tu racontes ! Mais viens par là faire un petit tour avec moi.

Nicératos. — Un petit tour ?

Déméas. — Et remets-toi ! — Dis-moi, Nicératos, n’as-tu pas entendu dans les tragédies que Zeus s’est changé en pluie d’or pour se couler par un toit et qu’il débaucha par violence une enfant, lui, un Dieu !

Nicératos. — Eh bien ? et après ?

Déméas. — Il faut s’attendre également à tout. Regarde ton toit pour voir s’il ne pleut pas un peu dans ta maison !

Nicératos. — Énormément ! mais quel rapport y a-t-il ?

Déméas. — Zeus s’est changé tantôt en or, tantôt en pluie, tu vois !… Tout cela, c’est l’ouvrage du Dieu ! Ah ! comme nous avons vite trouvé !

Nicératos. — Oui ! tu me mènes paître !

Déméas. — Nullement, par Apollon ? mais certes, tu ne le cèdes en rien à Acrisios ! Si Zeus a honoré sa fille, du moins la tienne…

Nicératos. — Hélas ! Hélas ! Moschion m’a bien accommodé !

Déméas. — Il épousera ! Ne crains rien là-dessus ! cette aventure est de provenance divine, je le sais pertinemment. Je pourrais te citer des milliers de Dieux qui se promènent en public ! Crois-tu que cela soit si merveilleux[1] ! Tiens, Chéréphon ! le premier de tous, qui se fait nourrir sans payer son écot, ce n’est pas un Dieu pour toi ?

Nicératos. — C’en est un ! est-ce que j’en puis mais ! je ne bataillerai pas avec toi dans le vide.

Déméas. — Voilà du bon sens, Nicératos ! Et Androclès ? qui vit depuis tant d’années, qui court, fait la noce et sait se faire bien payer, qui se promène avec des cheveux tout noirs — même à son lit de mort il n’en aura pas de blancs — sans que personne songe à le supprimer,

  1. Pour terminer cette scène assez bouffonne où Déméas étourdit son interlocuteur en l’assommant de mauvaises raisons, nous assistons au défilé des plaisanteries traditionnelles dont les auteurs comiques accablent certains types de parasites. Tout ce qui suit est, à vrai dire, plus à l’adresse du spectateur que de Nicératos. C’est une survivance de l’ancienne comédie.