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Page:La Nouvelle Revue - 1898 - tome 114.djvu/676

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collégiens. Pierre Larive, petit gringalet, chafouin, mal tourné, déjà un peu chauve, le regard pénétrant derrière le lorgnon et le sourire narquois dans une barbe clairsemée rachetant seuls la pauvreté physique qu’accentuait encore l’inélégance de sa tenue. Un cérébral pur, déséquilibré dans le sens intellectuel, les muscles abolis par les nerfs, avisé et subtil, de l’esprit comme un singe, sceptique comme le diable, un orgueil d’enfer engendrant cette timidité qui résulte du désaccord entre ce qu’on est et ce qu’on paraît, rendu sauvage par le sentiment de son défaut d’éducation première, s’alliant à la sourde vanité de briller dans le monde ; un corrompu de tête, que faisaient chaste le dégoût des amours de bas lieu et l’incapacité à plaire aux femmes qu’il eût convoitées ; l’intuition et l’appétit de toutes les jouissances, s’aigrissant dans l’austérité nullement volontaire d’une existence retirée et laborieuse ; un âpre désir de devenir quelqu’un, bouillonnant au fond d’une âme impatiente de la mesquinerie de son milieu, de l’obscurité de son nom, de cette honorabilité médiocre et terne des situations provinciales.

Quand leur valeur n’est pas à la taille de leurs ambitions, ces natures là font les ratés, les réfractaires, les anarchistes moraux, virus de l’humanité sur laquelle ils déchaînent la rage. Mais Pierre croyait se sentir de force à maîtriser la fortune le jour où elle passerait à portée de sa main. Et sa confiance en soi, qui quelquefois cependant se décourageait faute de voir par quelle mèche il accrocherait au passage la sagace déesse, le gardait de s’égarer dans cette voie mauvaise. Il souhaitait trop ardemment se faire dans la société une place éclatante pour la vouloir démolir. Si jamais tout espoir venait à être perdu, il serait alors temps de se brouiller avec elle. Pour le moment, il observait, il notait, il réfléchissait, il attendait.

Combien simple, en regard de ces complexités, le caractère du soldat. Grand et beau mâle sous poil alezan, la moustache fière, l’œil clair comme basilic, les dents éblouissantes entre les lèvres vermeilles, les épaules larges, les flancs évidés et la jambe nerveuse du parfait cavalier, non sans analogie, dans sa grâce virile et sa vigueur enveloppée d’élégance, avec ce superbe animal de force et de souplesse qu’est l’étalon de pur sang. Impeccablement correct et d’un chic superlatif, sans l’ombre de snobisme, de prétention ni de morgue, il évoluait dans la vie avec l’aisance tranquille de qui se sait l’assiette sûre et les aplombs solides. Plus