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Page:La Nouvelle Revue - 1898 - tome 114.djvu/677

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d’escrime que de lettres et d’hippiatrique que de philosophie, mais cette culture superficielle que donne le commerce du monde, la cervelle étroite mais le cœur chaud, tout honneur et gentilhommerie, une rectitude d’esprit un peu simpliste, passant à travers les idées droit et net comme sa lame.

La haute et belle mine de Jacques de Montdauphin lui valant parmi les honnestes dames de brillantes conquêtes, tandis fortune très ronde lui permettait de céder à toutes les tentations des amours vénales, c’est précédé d’une réputation fort galante qu’il était arrivé à X… Elle n’était point usurpée. Cependant l’en- traînement du milieu et des circonstances plutôt que du tempéra- ment avait fait de lui un viveur. En réalité, il était de l’étoffe de ces maris aimables, un peu légers, qu’avec de l’application et de l’adresse, une femme peut retenir sans trop de peine. Et il n’est pas plus charmant que ces papillons enchaînés.

Quiconque a habité le chef-lieu de ce département, qu’afin de ne désobliger personne nous appellerons « Saône et Garonne », vous dira que c’est traditionnellement la plus maussade des grandes villes de province. Quoi que prétendent les Parisiens, il y en a où l’on s’amuse — avec plus de calme sans doute et plus d’intimité que chez eux, mais cela a son genre d’agrément. À X… au contraire, de tout temps l’ennui a été profond. C’est dans l’air. Une aristocratie extraordinairement collet-monté, une bourgeoisie incroyablement morose, enveloppées d’un voile de cette dévotion chagrine qui étouffe la joie de vivre et pour un peu reprocherait à Dieu le soleil d’or et le ciel d’azur, la musique, le rire, les parfums, les fleurs, tout ce qui nous donne la foi, le courage et l’amour.

Dans cette atmosphère languissante et morne se fige le monde plus vivant de l’armée et des administrations publiques. Et puis, est-ce parce qu’il y a un sort sur cette malheureuse ville, ou plutôt à cause que quiconque est un peu dans le train la fuit comme la peste, ces éléments étrangers eux-mêmes semblent triés sur le volet pour se conformer à l’ambiance. Les préfets y sont presque toujours « des gens qu’on ne peut pas voir », les généraux sont garçons, ou bien leur femme ne vient pas s’y installer ; nombre de magistrats et de hauts fonctionnaires sont du pays, et empaillés en conséquence ; les régiments sont mal pourvus en jeunes