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Page:La Nouvelle Revue - 1898 - tome 114.djvu/681

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res, n’habitant guère la maison de ville que trois mois, entre la fermeture de la chasse et les premiers beaux jours. Il en est un qui demeurait tout le long de l’année en une médiocre gentilhommière assez proche du chef-lieu, unique débris d’un patrimoine dévoré par le jeu et les filles, par un trop grand état aussi tenu naguère à Paris au temps de sa grandeur. C’est la dotalisation de cette maigre propriété appartenant à sa femme qui avait sauvé de la débâcle un toit sous lequel s’abriter, avec le strict nécessaire des apparences, sinon des réalités de la vie.

Le baron d’Aygurande avait un fils, aussi sage cela n’est pas rare — que le père l’avait été peu, laborieux et doux, une vocation de rat de bibliothèque, disait-on dédaigneusement dans la famille, et qui préparait sa licence ès-lettres en vue d’embrasser la modeste carrière d’archiviste paléographe.

Pierre Larive ne s’occupait guère de ses élèves. C’est pour lui, non pour eux, qu’il faisait son cours, très brillant, très personnel, ultra moderne, comme tel plaisant aux étudiants autant qu’en étaient effarouchées les autorités universitaires. Il s’émerveillait que Jacques trouvât de l’intérêt à mettre des recrues à cheval et à leur enseigner l’escrime du sabre, alors que lui en prenait si peu à orner de belles-lettres la jeunesse saône-et-garonnaise. C’est le soldat avait devant les yeux le but unique et suprême d’unité, d’uniformité, de cohésion, vers lequel convergent tous les efforts individuels des membres du grand faisceau militaire, depuis le dernier brigadier jusqu’au généralissime. Le professeur au contraire, dans l’indépendance de son esprit, jugeait absurde d’opprimer des cerveaux, de les étouffer peut-être, en leur ingurgitant de gré ou de force des idées conçues par un autre — idées d’ailleurs auxquelles lui-même, pur jongleur intellectuel, tenait si peu…

Cependant un hasard l’ayant mis en rapports personnels avec le jeune d’Aygurande, il l’avait trouvé gentil, sympathique, bien doué, et celui-ci s’était attaché à lui de ce lien assez étroit qui unit au maître éloquent le disciple enthousiaste. Encore qu’on reçut peu à la Garenne, et pour cause, l’étudiant l’avait engagé à y venir quelquefois tirer des lapins, que Pierre manquait régulièrement, étant myope comme une taupe et très maladroit de ses mains molles d’homme de plume.

Il y était retourné pourtant. Non pour la conversation du baron, ne sortant des histoires de faire-valoir que pour ressasser de vieil-