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Page:La Nouvelle Revue - 1898 - tome 114.djvu/682

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les gaillardises parisiennes de la fin de l’Empire. Pas davantage n’était-il attiré par Mme d’Aygurande, éteinte, affalée, dolente, depuis vingt-cinq ans que la trompait son mari, naguère pour des danseuses, aujourd’hui pour des vachères, et harassée sous le poids de difficultés ménagères écrasant ses maigres épaules. Mais il y avait une fille, grande, belle et opulente créature à l’abondante toison fauve, l’œil de braise dans l’éclatante blancheur d’un teint où fleurissaient la force et la santé, toute vibrante d’une vie intense et dont la séduction s’accroissait encore du contraste de ce tempérament de flamme avec la réserve virginale dans laquelle l’emprisonnaient les bienséances. Ces ardeurs, qu’avaient peine à dissimuler les vingt-quatre ans largement épanouis de la jeune fille, auraient eu de quoi alarmer un homme aussi peu fait pour les attiser une fois déchaînées chez la femme. Mais si Pierre était psychologue, il était jeune aussi, et novice à l’amour. Ébloui, il vit seulement en elle une de ces figures féminines comme en montrent les romans, source de ses aspirations passionnelles, et telle que jamais il n’en avait rencontré une en chair et en os. Au bout d’un temps assez court, ayant des raisons de croire que sa recherche serait accueillie, il se déclara et fut agréé avec un empressement déguisé sous une forme légèrement condescendante, destinée à sauver la mésalliance.

Car il était un parti inespéré. Mademoiselle d’Aygurande n’avait pas un sou de dot et à peine davantage en lointaines espérances. À peine si, en faisant appel à la générosité intermittente et récalcitrante d’une marraine riche d’un bien placé en viager, elle pourrait entrer chez son époux avec un trousseau décent. Les appointements d’un professeur de faculté, accrus du produit de ses travaux spéciaux, c’était pour cette famille décavée le trésor de Golconde, qui valait largement un sacrifice sur la naissance.

Ce n’est pas d’Isabelle que seraient venues les objections. Se consumant d’ennui dans la solitude et la gêne de ce nid de hibous, où la rongeaient le souvenir d’une enfance opulente et la hantaient des rêves de luxe et de plaisir dont elle avait puisé le goût dans le sang paternel, puisque le mariage était le seul moyen d’en sortir, elle eût plutôt épousé un magot, et Pierre Larive n’était rien de pareil. De ses mérites, elle n’avait cure, hors que, lui avait-on dit, un brillant avenir attendait le jeune professeur, ce qui signifiait, dans un délai assez bref sans doute, le séjour définitif à Paris. Sans qu’elle l’eût particulièrement regardé, il