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Page:La Nouvelle Revue - 1898 - tome 114.djvu/686

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exactement tel, socialement parlant, qu’au jour de sa première épaulette.

Pierre Larive, lui, est passé grand homme, et cela est bien autre chose. Jeté dans la fournaise parisienne, son talent s’y était bien vite affirmé et mûri. Une grande comédie de mœurs représentée au Gymnase le rendit célèbre du soir au matin. Le Théâtre Français ensuite lui ouvrit ses portes. Depuis lors, c’est une suite de succès éclatants qui l’ont fait officier de la Légion d’Honneur au 14 juillet dernier, et ce matin il a essayé l’habit à palmes vertes pour sa très prochaine réception sous l’auguste coupole.

Qu’était-ce donc que ce Larive, modeste professeur naguère dans quelque province ?… Un petit frère sans doute de l’immortel, car il y a entre eux comme un air de famille. Très mondain, celui-ci, s’habillant chez le bon faiseur, dînant en ville tous les soirs, et fréquentant avec impartialité dans le faubourg Saint-Germain et la plaine Monceau, chez les nababs étrangers et les baronnes israélites. Pas timide, car il sent le terrain solide sous ses pas, sa verve caustique et leste se donne libre cours, possédant un fonds assez riche pour en mettre beaucoup dans ses pièces et en garder encore à l’usage de la ville.

Comme son théâtre a pour thème favori la perfidie des femmes, qu’il accommode de belle façon, toutes les femmes, cela s’entend, sont pour lui. Elles se l’arrachent… Oh ! honni soit qui mal y pense : il n’aspire auprès d’elles qu’au triomphe de l’esprit. Peut-être est-ce plus sage. Pierre Larive aujourd’hui se connaît, et chez lui, il n’y a plus que le philosophe narquois, sceptique et indulgent sous sa satire. Cependant les coulisses sont fertiles en tentations auxquelles il cède, en facilités dont il use, et les petites comédiennes savent ce qu’elles gagnent à être lancées par leur auteur. Jacques de Montdauphin n’est pas psychologue, mais il n’est point sot. D’une extrémité de la table fleurie et étincelante opposée à celle où était assis son vieux camarade, il s’émerveillait de ces sautes de la vie. L’abîme qui à leur entrée dans la carrière séparait le beau jeune reître, riche et gentilhomme, du petit régent de collège sans argent ni naissance, il était bien plus que comblé aujourd’hui. Une seule distance demeurait entière : le commandant se trouvait chez la duchesse en qualité de parent, l’académicien à titre décoratif — mais celui-ci n’en était fêté que davantage, sans que cela détruisît certaine supériorité de celui-là. Distinction insaisissable et pourtant irréductible… Et dire qu’il y a des gens pour