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Page:La Nouvelle Revue - 1898 - tome 114.djvu/687

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s’entêter à démontrer l’égalité par A+B… Ils devraient se souvenir de ce principe rudimentaire de l’arithmétique, qu’on ne saurait additionnner des poires avec des abricots.

Et Jacques se remémorait leurs deux mariages. Celui de Pierre, simple épisode de sa première période d’existence, oubliée sans doute aujourd’hui avec le reste. Le sien… il soupira. On était bons catholiques, et puis on se devait au nom, à la famille, aux enfants : aussi n’y avait-il qu’une demi séparation amiable. À Rome déjà, la comtesse s’était vainement essoufflée à suivre un train trop mondain et trop libre pour ses goûts, et des incidents extérieurs étaient venus aggraver le malentendu intime. Le climat de Saint-Pétersbourg, supposé contraire à la santé de la femme, avait servi au mari de prétexte pour s’y établir en garçon. À présent elle habitait presque toute l’année dans le Midi et à la campagne, où, afin de sauver les apparences, il allait passer quelques congés, tandis qu’elle faisait auprès de lui à Paris un bref séjour au printemps. Et cependant il n’eût pas mieux demandé que d’être un mari fidèle — mais contre certaines incompatibilités se brisent les meilleures intentions.

En revoyant Pierre à l’improviste, Jacques s’était senti un peu de trouble. C’est qu’il y avait entre eux quelque chose qui le gênait. Comme bien on pense, l’ex Mme Larive avait fort mal tourné. Honnie des siens et peu jalouse d’ailleurs de la maigre pitance qu’elle aurait due à leur charité, non dénuée de volonté et d’énergie, elle avait pris le seul parti possible. Douée d’une belle voix, assez cultivée déjà, ayant reçu à titre gracieux des leçons d’une ancienne falcon de l’Opéra de Paris, retirée en Saône et Garonne, et qui avait des obligations à sa famille, un coup de collier de travail pour se perfectionner, et sous le nom d’Isabella Riva elle avait débuté à Bordeaux. On ne s’improvise pas artiste, mais si le succès de la chanteuse fut médiocre, celui de la femme l’en dédommagea, et elle se jeta tête basse dans la galanterie mitigée par l’étiquette du théâtre.

Le hasard des aventures — était-ce bien le hasard ? — l’ayant conduite à Rome, elle y avait revu Jacques. Sans peine il se laissa persuader que toujours elle l’avait aimé, qu’elle n’avait aimé que lui, que cet inconsolable chagrin était la source de toutes ses fautes. Comment ne pas croire ces choses lorsqu’est aussi belle celle qui les dit ? Et c’était véritable, au demeurant, du moins pour une bonne part. Ce fut le premier gros grief de Mme de Montdau-