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de Verlaine, avec d’étonnantes quêtes de sensations vers les odeurs et les saveurs, recommande maintenant Verlaine aux âmes pieuses, et détache, en un volume, les poésies religieuses de Verlaine, comme si elles pouvaient être ainsi arrachées de l’œuvre complète, où elles prennent leur couleur du voisinage des autres mysticismes, des cantilènes d’amour et des refrains d’humilité personnelle.

Rimbaud, alors énigmatique, a perdu de son lointain. On sait qu’après les admirables ébauches et les intuitions géniales des vingt ans, il a rejeté toute littérature, qu’il était devenu un pionnier, un commerçant ; regrettait-il ses visions d’art, eût-il écrit une fois de retour en France, ayant conquis le droit au loisir ? Rien ne permet d’en être sûr. La gloire de Stéphane Mallarmé, malgré quelques virulences inutiles et des attaques hors de saison, reste pure. Elle suscite de temps en temps, de la part de ceux qui l’ont connu sans le comprendre, des articles en points suspensifs, où l’on cherche encore à mettre d’accord les impressions confuses et diverses que l’on ressentit en causant avec lui, et en le lisant[1]. Corbière compte comme une magnifique curiosité. Personne ne nie plus les poètes maudits, mais l’impression de leurs œuvres ou de leurs théories va s’effaçant. Depuis eux, il s’est passé le symbolisme, l’orientation du symbolisme vers la nature et l’impression franche, puis vers l’art social, les rencontres des jeunes esprits avec les évolutions du symbolisme qui ont donné lieu aux naturismes, aux intimismes, et à toute une série de poèmes relevant de la poésie personnelle et de son rapport en général, à l’ensemble les sensations humaines. Entre temps, un retour néo-parnassien a fait combiner les sensations de nature avec des paganismes qu’on aurait pu croire rendus au passé. Il y a des sirènes qui parlent comme si elles avaient lu les Illuminations, des faunes qui ont l’humilité chrétienne de Sagesse, et ils font face dans le poème à des laboureurs, à qui rien de l’Hellas n’est demeuré étranger. Le mouvement poétique est trouble, confus, varié, aussi plein de redites que de nouveautés, et bien des redites s’y présentent avec des nuances nouvelles, avec des variations d’accents qui valent la peine d’être écoutées.

Corbière, bon sonnettiste, avait proscrit le sonnet « Télégramme sacré » ; le sonnet est revenu après un beau succès de livres de sonnets et les sonnets pullulent ; Verlaine avait proscrit l’éloquence, l’éloquence rentre à pleins bords, et de droit, car la poésie a trouvé de nouvelles occasions d’incarner l’âme des foules et de nouveaux devoirs pour lesquels l’éloquence est nécessaire ; le Parnasse avait proscrit la sensibilité et l’effusion devant la nature. Les haies, les champs, les forêts, les grèves passent dans les volumes de vers et s’abattent comme le paysage vu d’un wagon de chemin de fer, et quand une impression de

  1. Ceci ne vise naturellement point le beau travail de M. Albert Mockel, Un Héros, de beaucoup la meilleure étude écrite sur Stéphane Mallarmé.