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Page:La Nouvelle revue, troisième série, tome 04, 1908.djvu/424

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À la mort de Brückner, et surtout à celle de Hanslick, la lutte cessa d’exister. Les élèves du maître, Lœwe, Gollerich, etc, peu à peu firent entendre cette musique si longtemps méprisée. Linz fut le berceau de ce culte nouveau. Un festival Brückner y fut organisé en 1902 ; en 1904, la même ville vota une rente, destinée à subvenir aux frais d’exécution des œuvres de Brückner, par la société musicale de Linz, pendant un période de vingt années. Ce revirement fit rentrer en eux-mêmes les anciens adversaires du maître défunt. Les chefs d’orchestres du nord, qui avaient aboyé contre lui à la suite de Hanslick, tentèrent de s’annexer le vieux compositeur ; bonnes âmes, ils se hâtèrent de passer l’éponge sur les querelles d’autrefois, et aujourd’hui, le mot est donné : par tous les moyens, on veut arracher Brückner, comme on l’a fait de Beethoven, à toute religion de forme définie, en particulier à celle pour laquelle il souffrit la persécution ; et oubliant ou ignorant qu’il faut, pour interpréter exactement sa musique, comprendre, sinon partager son sens catholique, le parti judéo-allemand s’est approprié l’admirable et déconcertant bonhomme. Dans quelques années, il sera persuadé l’avoir découvert et l’avoir soutenu toute sa vie. C’est toujours amusant.

Quoiqu’il en soit, Brückner mort conquiert aujourd’hui l’Allemagne, et par un juste retour des choses d’ici bas, prend la place de Brahms dans la fameuse trinité des B. Et mieux on le connaît, plus on voit clairement qu’il était inutile de recourir à des griefs politiques ou religieux pour l’opposer au musicien de Hambourg. Brahms, classique de seconde main, a continué Beethoven, comme une photographie sèche et précise continue un paysage plein de vie. Privé de toute émotion intérieure, il prétend néanmoins à la profondeur ; mais c’est par le moyen de cette « complication pâteuse et vainc, qui n’est qu’une forme difficile de la facilité » ; et il se perd dans une nuageuse emphase, dans une sentimentalité fade, dans une lourde redondance où sombrent les substantielles qualités de la musique allemande d’autre-

    « Cher vieil ami, cher jeune ami ! Noble Kapellmeister de la Cour ! Ce doit être le bon Brückner, vas-tu dire ; bien deviné, c’est justement lui. Écoute : le professeur Riedel, de Leipzig, m’a demandé si je voulais consentir à laisser exécuter au festival de l’Association des musiciens allemands, qui doit avoir lieu le 30 mai, à Carlsruhe, l’adagio de la 7e symphonie. Liszt et Standthartner m’y engagent. Tu es dans cette circonstance, le personnage principal.

    1o L’orchestre n’est-il pas trop mal disposé pour moi ? 2o As-tu les nouveaux tubas, les mêmes qui ont servi dans les Nibelungen, ou si tu ne les as pas, peux-tu te les procurer ? 3o Voudras-tu, comme l’ont fait MM. Lévi et Nikisch, consacrer ton moi artistique tout entier pour ton vieux maître qui t’a toujours tenu en grande affection, et étudier et diriger cet adagio avec les tubas et la musique funèbre pour le compositeur défunt, comme s’il s’agissait de ton propre ouvrage ? Si mon cher Mottl me promet cela et m’en donne sa parole d’honneur, alors, hourrah : hourrah : hourrah ! tout va bien, et je puis faire envoyer les parties. Les 4 tubas sont très essentiels, et aussi le tuba contrebasse. Je pense que nous serons contents tous les deux. Ma détermination repose en ce moment dans tes mains. Sois salué de tout cœur, et embrassé par celui qui te tient en la plus haute estime et reste ton

    A. Bruckner.

    Vienne, le 17 avril 1885.