Page:La Nouvelle revue, troisième série, tome 04, 1908.djvu/425

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fois. Brückner, tout débordant d’une noble sensibilité., a dépouillé l’appareil extérieur et personnel de la tradition classique ; mais quoique libéré, il en reste le fils. Il n’a pas pris comme Wagner « le torrent de la symphonie pour le jeter dans le lit du poème dramatique » ; il a laissé dans son lit (sic) le torrent symphonique, mais il l’a formidablement élargi. Extérieurement d’abord. Les symphonies de Brückner sont la première indication ou le premier exemple de cet art gigantesque, anormal, qui fait éclater les orchestres, les heures et les nerfs, de ce style « kolossal » qui sévit aujourd’hui en Allemagne, favorisé par un dédain du temps, de la mesure et du goût, si bien congénital à la race qu’un esprit sacrilège pourrait en relever des traces dans le grand J.-S. Bach lui-même. Assurément Brückner a été dépassé, et les musiciens allemands d’aujourd’hui, Gustav Mahler par exemple, écrivent des symphonies ou des poèmes symphoniques dont les dimensions sont beaucoup plus considérables ; certaines symphonies récentes ont une durée qui dépasse deux heures, et leur orchestration comprend tellement d’instruments de familles différentes que le format de leur partition d’orchestre doit ressembler à celui du grand livre de la dette publique.

Tout en étant moins démesurées, les symphonies de Brückner n’en ont pas moins une longueur respectable ; plusieurs d’entre elles, la 5e la 8e et la 9e, surtout si l’on fait suivre cette dernière de l’immense Te Deum qui en est la conclusion chorale rêvée par le compositeur, méritent de remplir un concert tout entier. C’est là d’ailleurs, d’après M. William Ritter, brücknérien fervent, la vraie façon de les faire entendre, et c’est ainsi que les donnent en Allemagne les chefs d’orchestre qui sont entrés le plus profondément dans leur absolue compréhension. Les symphonies de Brückner ont en général la forme classique ; la 9e est inachevée, et Brückner exprima dans son testament le désir que son Te Deum en formât la quatrième partie ; mais toutes les autres possèdent les quatre parties traditionnelles qui se succèdent dans l’ordre habituel. Le premier mouvement de la 5e, suivant un exemple donné par Beethoven dans un de ses derniers quatuors, est formé par un adagio alternant avec un allegro. C’est la seule exception ; toutes les autres symphonies suivent à peu de chose près la division ordinaire. En revanche le développement brise à chaque instant les étroites règles classiques ; les idées de Brückner sont trop frémissantes de vie : elles échappent sans cesse au frein de la tonalité, et le musicien n’a plus l’air de suivre que sa fantaisie ; sa richesse d’invention est extraordinaire, et souvent il ne sait pas la modérer ; ses idées mélodiques, qui ont une tournure quelque peu wagnérienne, sont d’une belle ampleur passionnément religieuse : « On pense à du Wagner, dit M. W. Ritter, à toute la passion de Wagner déversée dans les interminables frises pompeuses des rubriques de Handel ». Mais leur longueur est telle qu’on ne sait le plus souvent où finit le thème, où commence le développement. Tout cela, fantaisie du développe-