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LA NOUVELLE REVUE.

sans sanction !… Je ne demandais plus si Rambert était un imprudent ou un misérable ; je ne cherchais plus un mystère dans l’attitude de Mme Laforest ; je voulais oublier les indices qui éclairaient d’une trouble lueur les dessous de leurs caractères. Je ne me souvenais que d’avoir aimé. Et ce bonheur entrevu, ce bonheur pressenti, le plus légitime espoir de toute créature, ma seule raison de vivre, on me rappelait sans cesse que je devais le sacrifier. Et à qui ? Pour qui ? Dans quel but ? Je ne savais plus même si je croyais en Dieu et déjà je méprisais l’opinion du monde. Maxime avait raison. Que m’importaient les Gannerault et leurs semblables ? Le souvenir du soufflet reçu me soulevait de fureur.

— Non ! me disais-je. Je ne pardonnerai jamais cela.

Puis ma colère fondait en tristesse affreuse. Pauvre Marianne ! Seras-tu aimée ? Dans ces salons où tu parades, les épaules nues pour éveiller le désir, les yeux baissés pour rassurer les gardiens des traditions honnêtes, parmi ces commerçants, ces banquiers, ces fonctionnaires, prudents ingénieurs en quête de dots, gommeux fatigués en quête de flirts, entre les marchés du mariage et les petites combinaisons de l’adultère, le trouveras-tu, l’homme au large cœur, au ferme esprit, l’ami, le compagnon, le maître ? Et cependant, dans la ville où tu traines ta rancœur précoce, que de jeunes gens appellent l’amour ! Ah ! qu’il vienne, celui qui voudra m’aimer ! Ma jeunesse l’attend, mon cœur et mes sens l’espèrent, et mon dévouement, ma tendresse obstinée, ma foi, ma patience lui sont promis ! Qu’il vienne, inconnu, humble et pauvre, que je sois amante, femme et mère par lui !…

Longuement, silencieusement, je pleurais… Autour de moi, le bois compatissant refermait ses allées tournantes, barrées de bruyères où restaient quelques rares fleurs dont le rose violacé, l’amer parfum évoquaient des lieux plus sauvages. Dans le sentier taché d’ombres mouvantes, une voix tout à coup prononça mon nom

— Marianne !

Je relevai la tête. Maxime, au milieu du chemin, me regardait. Je me redressai violemment :

— Laisse-moi. C’est ta mère qui t’envoie sans doute ! Je n’ai plus même le droit de pleurer.

— Ma mère est folle ! dit-il. Je lui ai dit son fait et je suis parti à ta recherche, pauvre petite !