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AVANT L’AMOUR.

Je ne répondais pas. Il reprit :

— Si je te gêne, je m’en irai. J’aurais voulu te consoler pourtant, car tu sembles bien malheureuse.

— Ah ! murmurai-je, j’ai tant de chagrin !

Il vint s’asseoir près de moi et doucement prit mes mains dans les siennes. Il est bien peu d’hommes qui puissent voir sans émotion les larmes d’une femme, quand cette femme pleure devant eux pour la première fois. Maxime fixait sur moi des yeux attendris, dont le dur onyx semblait se fondre en un fluide d’or, sous les cils sombres. Et, à demi-voix, il répétait :

— Pauvre petite ! pauvre petite !

Mon cœur éclata. L’heure, le lieu, ma douleur, tout disposait mon âme aux confidences. Dans l’ombre rayée de rayons obliques où se rafraîchissaient mes yeux, assise avec Maxime dans les menthes sauvages et les véroniques du bois, je parlai enfin ; je racontai l’histoire courte et sans doute banale et toujours lamentable du premier amour déçu. Maxime m’encourageait par une pression de main, par un mot affectueux, et comme je m’excusais, confuse :

— Pourquoi rougir ? dit-il en se penchant vers moi. Est-ce que je ne suis pas ton frère ? Est-ce qu’à notre ancienne fraternité ne doit pas s’ajouter le sentiment plus délicat d’une amitié d’élection ? Va, ma chère Marianne, parle-moi de tout ce qui t’intéresse, de tout ce qui t’afflige, de ton ennemie Mme Laforest, de ton don Juan de Rambert. Je t’aime bien et pourtant je ne suis pas prodigue de ma tendresse. Je suis — et cela t’effraye ! — peu facile à l’émotion, sceptique, détaché de bien des cultes de tout genre. Mais crois-moi, j’ai été malheureux, humilié, déçu. Je comprends tout et j’excuse tout. Et puis, j’ai besoin d’être aimé un peu.

— Ah ! Maxime ! m’écriai-je spontanément, je suis prête à t’aimer tendrement, fraternellement, avec reconnaissance.

— Donne-moi ta pauvre joue ! dit-il avec un sourire, je veux effacer le soufflet.

Il m’embrassa doucement, sans trop appuyer ses lèvres ; puis me prenant par la taille, il me releva :

— Allons, viens ! Je vais préparer ton retour. Et ne pleure plus, belle Ariane.

Côte à côte, nous redescendîmes le sentier. Au coin de la rue des Plombelles, j’arrêtai Maxime.