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LA NOUVELLE REVUE.

— Non, je ne puis rentrer avec toi. Ta mère est si injuste ! Elle m’accuserait de chercher à te séduire. Prends les devants. Retourne seul.

Il me regarda d’un air indéfinissable.

— Quand donc pourrons-nous causer librement ? dit-il. Ma mère ne sort presque jamais et il vaut mieux, en effet, pour beaucoup de raisons qu’elle ne soupçonne pas des intentions que nous n’avons ni l’un ni l’autre.

Je fis un geste d’ignorance. Il reprit :

— Écoute, j’irai me promener, tous les matins, dans le pré des saules. Si tu désires me parler, tu m’y trouveras. Souviens-toi que je suis ton ami, petite Marianne.

Il me serra la main et s’éloigna. Sa haute silhouette disparut au bas de la côte. Pensive, je le regardais s’éloigner avec la secrète, l’indécise sensation que j’avais remporté une victoire.

X

La paix faite avec ma marraine, il me resta de ce jour une impression complexe, pénible et douce. J’étais profondément touchée de l’intérêt que me témoignait Maxime, et cependant ce frère adoptif, cet ami, m’inquiétait. Le mystère de nos entrevues suscita bientôt de nouvelles émotions. Souvent, sous un prétexte futile, je m’échappais le matin ; je descendais le sentier caillouteux et roide, mal assurée sur mes petits souliers de cuir jaune, accrochant ma robe aux tenaces orties, aux clôtures, aux angles éboulés des murs. Puis, dans le remous frôleur des hautes herbes, plus légère, je courais au ru bordé de saules, d’églantiers et de chênes verts. Maxime m’attendait. L’étroit ravin où s’entre-croisaient des ramilles sur le filet d’eau presque tari, nous séparait encore. Le jeune homme me tendant ses deux mains, d’un bond je franchissais le fossé et toute haletante, toute rose et rieuse, je le saluais d’un gai bonjour.

Alors, nous nous asseyions sur un tronc renversé et nous parlions de nos rêves, de nos ennuis, de nos lectures, des gens qui nous entouraient. La solitude rendait notre causerie plus affectueuse. Derrière nous montait la côte rapide jusqu’au plateau des grands pins : devant nous se massaient les toits fauves des chaumières, les tuiles rouges des hangars, l’ardoise des