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AVANT L’AMOUR.

maisons dominées par le clocher. Sous l’azur lavé des ciels d’octobre, les saules égrenaient des feuilles blondes ; quelques branches, dans l’épaisseur, gardaient des gris délicats de perle, des verts d’argent. Des vaches paissaient l’herbe flétrie étoilée d’ombelles blanches et de soucis sauvages, d’un or violent, presque orangé. Mêlée à l’odeur des chèvrefeuilles, montait l’odeur aromatique de la dernière fenaison. Étroit paysage, fermé par les saules, les murs des fermes, la côte à pic, site familier qui reposait nos âmes de l’inquiétude des grands horizons.

Maxime, par ces matins charmants, me raconta longuement sa vie. J’appris qu’il avait aimé une femme dont il était encore aimé. Le nom de Mme de Charny s’imposa à ma pensée. Le jeune homme ne me détrompa point. Je connus peu à peu les détails lamentables de cette histoire, la catastrophe d’un flagrant délit qui avait brisé la carrière de Maxime, la fuite de sa maîtresse, sommée par le mari de disparaître sans scandale. Riche, déjà mûre, elle vivait seule aux environs de Paris. J’imaginai entre eux une passion romanesque et exaltée. Plus expérimentée, j’aurais deviné la misère d’une liaison devenue une chaîne que la femme, âpre à l’amour, alourdissait sur l’amant trop jeune.

— Pourquoi ne divorce-t-elle pas ? demandai-je. Tu pourrais l’épouser.

Il haussa les épaules.

— Divorcer ? Elle ? C’est difficile à cause des enfants. Et puis, et puis, on n’épouse pas une femme de quarante ans.

— Mais si tu l’aimes ?

— Je l’aime, je l’aime !… Évidemment, je l’aime. Elle a été parfaite pour moi. Mais je ne l’aime plus comme tu sembles le croire.

Il alluma une cigarette. Curieuse, j’insistai :

— Elle est jolie ?

— De beaux restes. Avec de la toilette, un peu de truquage, ça fait encore de l’effet. Surtout aux lumières. Mais je ne devrais jamais la voir le jour.

Il me flatta la joue du bout de ses doigts :

— Ce n’est plus ce velours de pêche. Et puis, vois-tu, les femmes de cet âge ne supportent pas l’épreuve de l’intimité. Hors du corset point de salut. Ah ! Marianne, que tu es fine, svelte et légère ! Que cette robe à mille plis te sied bien ! C’est beau la jeunesse, Marianne, Mariette, Marion !