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LA NOUVELLE REVUE.

D’autres fois, c’était moi qui parlais. Je disais mes rêves puérils d’adolescente, la crise religieuse, l’indifférence où j’étais tombée, la volonté que j’avais de vivre toute la vie. Je racontais l’histoire de mes amies, jaunissant dans la chasse au mari, achetant enfin ce mari parfois nul, souvent médiocre. Et je me révoltais en songeant aux misérables manèges, aux mesquines compromissions qu’impose la conquête de l’amour légitime. Mais ces fiançailles, ces mariages, avaient-ils quelque rapport avec l’amour ?

— Tu t’indignes dit Maxime, un jour. Dans un an, dans deux ans, tu subiras la fascination du mariage. Tu te lasseras d’attendre l’époux rêvé. Effrayée des dangers de l’amour illégal et résignée, tu tendras, toi aussi, l’éternel piège.

— Les hommes ne tombent que dans des pièges d’or, dis-je en soupirant. Dans le monde où nous vivons, la dot décide la destinée des femmes. Vois tes amis, Payrol, Champsey, Figeac. Ils cherchent la demoiselle à sac, comme ils disent dans leur joli langage. Et les jeunes filles qui n’ont point ce sac idéal, les Suzanne Maury, les Laurette Exelmans et tant d’autres, elles commencent leur rôle — je ne dirai point de vieilles filles — mais de femmes célibataires. Les sports, les bals, les voyages étourdissent en elles ce malencontreux désir d’aimer qu’on dissimule comme une honte. Et cependant Laurette et Suzanne ont trente mille francs chacune. Pourquoi ne les épouse-t-on pas ?

— Parce que, dit Maxime, une demoiselle de trente mille francs exige un mari de quarante mille ; un monsieur de quarante mille francs veut une fiancée de cent mille. Ceux qui n’ont rien souhaitent dans le mariage une assurance à vie contre la misère. Nul ne veut courir aucun risque.

— Mais les femmes qui travaillent ?

— Les institutrices, les employées, les ouvrières ? En as-tu rencontré dans les salons où tu vas ? Pas chic, la femme qui travaille. Son salaire est médiocre, son travail incertain. Quant aux femmes artistes, les snobs les réservent pour y recruter d’amusantes maîtresses. Va, Marianne ! Tu ne te marieras jamais dans ton monde. Ce sont les pauvres diables qui épousent les filles sans le sou.

— Mais j’épouserais un pauvre diable, si je l’aimais !

— Et où le rencontreras-tu, ce pauvre diable ? Les amis de ma mère sont bien posés et bien pensants. Un pauvre diable