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AVANT L’AMOUR.

intelligent et fier ne se fourvoiera pas dans leurs soirées. Il s’y embêterait trop ! Souviens-toi de Rambert.

— Maxime, — je me troublai un peu, — devines-tu pourquoi Rambert ne m’a pas épousée ?

— Parce que tu es pauvre, jeune, ignorante et que tu ne pouvais lui servir à rien.

— Oh !

— C’est la vie.

— Je ne puis croire cela.

— Garde tes illusions.

— Mais, Maxime, la vie est laide.

— Comme ceux qui la vivent. Il faut, pour triompher, se débarrasser des superstitions, des scrupules, des préjugés, se cuirasser de mépris et marcher vers son but, sur tout le monde.

— Tu as un but, toi ?

Ses yeux d’or brillèrent :

— Certes. Je veux être fort, je veux être craint. Je veux ma part de ce que les prêtres appellent « les biens de ce monde ».

— Et tu épouseras une fille riche ?

— S’il le faut.

Je fis un mouvement de surprise. Maxime se mit à rire.

— J’épouserai une femme que j’aimerai et qui m’aidera. Il y a tant de façons d’être égoïste !

— Oui, tu rêves l’amour sans risques, toi aussi !

Il rit encore :

— Tu m’en veux ? Bête ! C’est une plaisanterie. Il est probable que je ne me marierai point. Ne me retire pas ton estime parce que je ne suis pas un don Quichotte de sentiment. Il faut regarder la vie hardiment, Marianne.

— Ah ! soupirai-je, l’avenir me fait peur !

— Lâche ma famille. Entre au théâtre ou déclasse-toi ; épouse un de ces pauvres diables dont tu parlais. À moins que tu ne tournes mal, comme dit ma mère. Les mornes célibataires ont des maîtresses.

— Mais tu ne me conseilles pas de prendre un amant ?

— Est-ce que je sais ? dit-il en s’étendant dans l’herbe, contre ma robe. Ce serait au moins une distraction. Et si l’amant t’aimait, je ne vois pas ce que tu aurais à regretter.

— L’estime.