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AVANT L’AMOUR.

Délicatement, il promena, une poignée d’herbe sur la peau blanche, veinée de bleu tendre. Il riait pour me rassurer.

— Ce ne sera rien… Quel petit peton tu as !… Mince et cambré, il raconte toute ta personne… Vois comme il est joli dans ma grosse main !

Je rougis tout à coup et mon pied disparut sous ma robe. Maxime, étonné, me regarda :

— Eh bien !

— Il faut rentrer…

— Je comprends… je t’ennuie…

Il éparpilla l’herbe et les feuilles dans le lit du ruisseau.

— Tiens !… Il vaut mieux que je te laisse… Rechausse-toi, je vais en avant.

La gaieté était tombée et une sourde inquiétude, sans causes précises, pesa sur mon cœur. Je ne sais pourquoi, il feignit de m’éviter pendant une longue semaine.


Mais bientôt nos entrevues recommencèrent. Maxime devenait triste et je voulus le consoler. Il m’avoua des embarras d’argent ; la mauvaise volonté des camarades, la morgue des solennels imbéciles qui refusaient ou discutaient ses articles. Sa belle audace s’émoussait. Mon affection pour lui se fit prévenante et caressante et, à ma grande surprise, — mêlée d’un secret orgueil, — je découvris que j’étais puissante sur cette âme indomptable. Oui, un mot, un geste, un sourire écartaient ou ramenaient les ombres sur le front de mon ami. Il l’appuyait parfois, ce front abattu, sur la main que je lui tendais, fraîche et sans fièvre, et ce contact semblait l’apaiser. Chaque jour se resserrait l’intimité charmante. Des étrangers auraient pu s’étonner. Mais en courant au rendez-vous matinal, en pressant la main de Maxime, en prolongeant les entretiens et les promenades, je demeurais calme comme une sœur. Cette tendresse que je ressentais pour lui et qu’il voulait rare et exceptionnelle, les circonstances, sa volonté, mon ennui l’avaient fait naître. Elle pouvait ne pas précéder l’amour ; elle pouvait lui faire obstacle. Goûtant le plaisir d’être aimée, plus que le bonheur d’aimer, j’étais tendre pourtant par instinct, par besoin, par reconnaissance. Je ne jugeais point celui qui m’aidait à trouver la vie moins monotone. Je lui étais douce avec orgueil. Innocemment, j’apprenais à me servir de mes armes de femme, à conquérir le cœur de l’homme, à séduire sa conscience,