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LA NOUVELLE REVUE.

à modifier ses décisions, à éveiller ses désirs. Chastes étaient nos attitudes et chaste ma pensée ; mais l’ambiguïté du sentiment qui nous unissait irritait en nous d’obscurs éléments : la vanité féminine, la sensualité masculine, la curiosité de tous deux. Parfois grondaient tout bas ces voix discordantes que l’amour seul rend harmonieuses. Je me plaisais à être belle, je me plaisais à être bienfaisante, parce que je ne savais où ni pour qui épanouir ma jeune beauté, exercer mes forces de tendresse. Maxime ne s’y trompait pas.

Le temps approchait où nous devions quitter les Yvelines. La pluie, les préparatifs du départ, des caprices de ma marraine me retinrent plusieurs jours à la maison. Maxime, entre ses parents et moi, se montra plus triste. Chaque matin, le courrier lui apportait des lettres mystérieuses. Je devinai l’impatience de Mme de Charny. « Que doit-elle penser ? me disais-je, pendant que Maxime, enfermé dans sa chambre, écrivait ou lisait assidûment. Il a espacé ses visites depuis un mois. Il lui écrit des billets ennuyés et raisonnables. Si elle l’aime, elle doit souffrir. Mais pourquoi une femme de quarante ans s’éprend-elle d’un jeune homme ? Elle doit être jalouse horriblement. Une idée singulière me traversa l’esprit. Maxime lui a-t-il parlé de moi ? Peut-être… mais il n’a pas dû lui raconter nos rendez-vous sous les saules. Si elle savait ! Certes, elle croirait Maxime amoureux de moi ! » Une vanité puérile et confuse me venait à cette pensée qu’une femme très belle et très amoureuse pouvait être délaissée pour la pauvre petite Marianne qu’avait méprisée Rambert. Je ne souhaitais pas que Mme de Charny souffrit, ni que Maxime l’abandonnât, mais il ne me déplaisait pas d’être secrètement préférée.

La veille de notre départ, la lettre quotidienne arriva en l’absence de ma marraine. M. Gannerault, qui dirigeait la cueillette des pommes réservées pour l’hiver, me tendit l’enveloppe mauve.

— Tiens ! porte cette épitre à Maxime. Il est dans sa chambre, je crois.

Il avait parlé avec une nuance de dédain. Le vélin mauve, la longue écriture anglaise, l’arôme évaporé du white-rose révélaient le sexe du mystérieux correspondant. Mon brave tuteur s’indignait que Maxime osât se faire adresser chez ses parents les lettres de sa maîtresse. Je montai lestement l’escalier. Sur le palier du premier étage, prise d’une étrange curiosité, je regardai