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AVANT L’AMOUR.

le timbre de la poste, portant en exergue le nom de Chaville et la date du 3 novembre. Puis, élevant la lettre à contre-jour, je tâchai de déchiffrer quelques mots, mais l’épaisseur du papier trompa mon attente. Alors une honte me prit de cette petite indélicatesse. Je murmurai :

— Que m’importent les amours de Maxime ! Il est libre après tout…

Cachant la lettre mauve dans un pli de mon tablier, je heurtai à la porte de Maxime. Il ouvrit, étonné et content.

— Toi, petite ! Que veux-tu ?

— Je t’apporte une surprise… une surprise qui te fera plaisir.

— Qu’est-ce donc ?

Il referma la porte.

— Ma mère est ici ?

— Non.

— Mon père ?

— Au jardin.

— Tu peux rester quelques minutes ?

— Mais, dis-je malicieusement, quand je t’aurai remis la surprise, tu voudras rester seul pour la savourer.

— Parle donc ! Tu me mets sur des épines… Cette surprise… vient de toi ?

Sous la lumière pâle des fenêtres voilées de blanc, il penchait vers moi son visage aux durs méplats, aux arêtes dures où chatoyait l’agate dorée des prunelles entre les cils noirs. Assis près de la table couverte de livres, le coude sur un manuscrit déployé, la joue sur la main, il souriait avec une indéfinissable angoisse. Je jetai la lettre mauve devant lui.

— Tiens ! voilà ta pâture d’amour… Tu dois être heureux… Elle t’aime !…

— C’était donc cela s’écria-t-il désappointé.

Je feignis de me retirer.

— Marianne, tu pars ?

— Ta lettre !

— Bah ! J’ai bien le temps.

Il repoussa le carré de vélin parfumé avec ce geste irrité des amants qui n’aiment plus et semblent écarter d’eux l’image et le souvenir de la maîtresse importune.

J’insistai.

— Lis… Il faut que tu lises… J’attendrai…