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LA NOUVELLE REVUE.

Il lut. Assise dans l’unique fauteuil, je regardais tour à tour les meubles vulgaires de la chambre, le papier à fleurs bleues, la mousseline usée des rideaux, les titres des volumes épars, les cendriers pleins de débris de cigarettes et Maxime lui-même, dont le désordre matinal, les cheveux emmêlés, la chemise lâche accusaient l’air las et chagrin. Il n’était pas beau, décidément. Jamais ce profil sévère, ce front hautain, n’éveilleraient en moi un désir de tendresse plus intime, l’émoi amolli d’une langueur. Près de lui, je respirais un air de bataille ; mes forces d’agression et de résistance s’exaltaient : sa voix sonnait dans mon cerveau comme une charge. Mme de Charny pouvait dormir tranquille. Maxime n’était pas l’amant que j’attendais.

Cependant cet homme aux nerfs d’acier, aux yeux de métal et de pierre, cet être sans douceur et sans faiblesses, une femme l’avait aimé. Elle avait trouvé dans ces rudes éléments qui composaient la personnalité de Maxime une séduction que je ne découvrais pas. Matée par lui, elle avait adoré l’implacable. Et je rêvais au roman de leurs amours que je connaissais à peine, aux pressentiments, aux aveux, à la faute. Ma pensée hésitait devant le mystère de l’acte d’amour, ce petit fait honteux et effrayant à quoi aboutissent toutes les idylles, toutes les tragédies, et les coquets manèges des rieuses, et les songeries des sentimentales, et l’exaltation des passionnées. Quelles émotions, quelles sensations ils avaient dû connaître, le premier jour ! Cependant je ne sais quelle pudeur dégoûtée me détournait de leur image et peu à peu renaissait en moi, devant la passion évoquée de l’étrangère, la cruauté ignorante des vierges qui ne connaissent qu’une forme de l’amour.

— Eh bien, tu es content ? dis-je à Maxime, quand il jeta la lettre dans un tiroir où s’accumulaient les enveloppes mauves.

Il haussa les épaules.

— Des récriminations, des reproches !… Ah ! que les femmes sont maladroites, quelquefois !

— Elle t’aime…

— Elle m’aime… Parbleu ! je le sais bien… mais elle m’obsède… Elle devrait comprendre… Ah ! quel malchanceux je suis !

Il tordait sa moustache, d’un geste agacé et impatient. Je ne savais que dire, vaguement gênée par le pressentiment des confidences possibles.